Diplomatie de défense : entretien avec le colonel Stéphane L., attaché de défense français en Autriche.
Rencontre avec le colonel Stéphane L., attaché de défense près l’ambassade de France en Autriche, qui nous éclaire sur son travail et ses missions au sein de la mission de défense de Vienne. La DGRIS assure la tutelle du réseau bilatéral diplomatique de défense, qui comprend aujourd’hui 93 missions près les ambassades de France à l’étranger.
Comment le modèle de neutralité (militaire et diplomatique) de l’Autriche influe-t-il sur votre travail en tant qu’attaché de défense ?
L’attaché de défense à Vienne doit naturellement avoir à l’esprit que l’Autriche est un pays neutre. Il s’agit en effet d’une position politique forte dont il doit tenir compte avec tact et diplomatie dans ses relations avec les autorités autrichiennes. Cette neutralité dite perpétuelle fait suite à la Seconde Guerre mondiale et à la période d’occupation du territoire autrichien jusqu’en 1955 par les forces alliées, y compris françaises, ainsi que par l’Union soviétique. Cette dernière l’a posée comme condition de l’indépendance du pays. Inscrite dans la loi constitutionnelle du 26 octobre 1955, elle est aujourd’hui un élément constitutif de l’identité autrichienne : malgré le contexte de la guerre en Ukraine et les débats politiques autour de la question, près de 80 % des Autrichiens y sont attachés.
Si l’Autriche est militairement neutre et ne participe pas à des conflits armés, elle ne l’est plus réellement sur le plan politique, puisque le pays est lié par l’article 42.7 de l’Union européenne, qui permet aide et assistance en cas d’agression. En 2015, après les attentats en France, l’Autriche a mis à notre disposition des heures de vol pour le transport aérien militaire. Le pays peut prendre part à nos côtés à des missions de l’Union européenne, de l’ONU, voire à des missions de l’OTAN sous mandat de l’ONU, comme au Kosovo. Des convergences et des identités de vues sont largement possibles avec l’Autriche sur les plans militaires comme stratégique, notamment pour ce qui concerne l’autonomie stratégique et l’industrie de défense européennes. L’Autriche est par ailleurs membre du Partenariat pour la paix de l’OTAN, ce qui facilite l’interopérabilité entre nos forces armées. La mission de défense œuvre au quotidien à promouvoir le dialogue stratégique et à développer cette interopérabilité.
Pour autant, cette neutralité n’empêche nullement l’attaché de défense de travailler normalement avec le partenaire autrichien, aussi bien en termes de qualité que d’intensité des échanges.
Finalement, c’est dans le domaine des survols de l’Autriche par des aéronefs de l’État français et des transits militaires sur son territoire que la mission de défense doit être particulièrement vigilante. En tant que pays neutre, l’Autriche n’autorise en effet pas le survol ou le transit d’équipements militaires à destination d’un pays ou d’une zone en guerre, ni le stationnement prolongé de troupes étrangères sur son territoire.
Pouvez-vous nous partager des exemples de coopération de défense entre l’Autriche et la France ?
La France est perçue comme l’un des partenaires majeurs de l’Autriche dans le domaine de la défense et son armée est vue comme un modèle. Inversement, nous avons à apprendre du modèle d’armée autrichien qui repose sur la conscription, dont le maintien a été approuvé par référendum en 2013, ainsi que sur une réserve opérationnelle appelée la Miliz, fortement ancrée dans le territoire et qui, ramenée à la population, dépasse notre réserve.
À la faveur de la guerre en Ukraine, la coopération bilatérale de défense avec l’Autriche s’est développée de façon significative. Le domaine opérationnel dans lequel nous coopérons le plus avec ce pays au cœur des Alpes est celui du combat en montagne. Les échanges entre la 27e Brigade d’infanterie de montagne et les troupes de montagne autrichiennes – les Gebirgstruppen – sont réguliers, que ce soit en France ou en Autriche. Nos deux pays sont par exemple partis à la Mountain Training Initiative de l’Union européenne. L’Autriche a développé une expertise très appréciée par nos forces dans ce milieu. Nous avons également une coopération de grande qualité dans le domaine de l’enseignement du français en milieu militaire autrichien. L’armée autrichienne, elle, accueille régulièrement nos cadets pour apprendre l’allemand à l’Académie de défense nationale de Vienne ou à l’Académie militaire thérésienne de Wiener Neustadt. Le programme Emilyo, ou Erasmus militaire, permet de nombreuses interactions avec Saint-Cyr ou encore l’École de l’air et de l’espace.
C’est dans le domaine de l’armement que les échanges se sont particulièrement développés ces dernières années. Les besoins en Autriche sont nombreux et la France est un partenaire de premier plan. La poursuite du programme Mistral en est un exemple. Les experts se rencontrent régulièrement autour de ce système d’armes.
La coopération bilatérale en matière d’armement s’intensifie autour de projets communs et prioritairement dans un cadre européen. L’attaché de défense a ici un rôle important de facilitateur pour la Direction générale de l’armement et les industriels français.
Il existe également un volet mémoriel très important avec l’Autriche, plus particulièrement en ce 80e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale. La libération d’une partie de l’Autriche par les troupes françaises, suivie de l’occupation du Vorarlberg, du Tyrol et d’une partie de Vienne par les forces françaises commandées par le général Béthouart, a créé des liens forts. La mission de défense est associée à de nombreuses commémorations.
Seules la Slovaquie et la Hongrie séparent l’Autriche des frontières ukrainiennes. Comment la guerre en Ukraine est-elle perçue et traitée au sein de la MDD de Vienne ?
Bien qu’entourée de pays partenaires au sein de l’Union européenne, également membres de l’OTAN, sans oublier la Suisse et le Liechtenstein voisins, l’Autriche a pris conscience que la neutralité ne la protégeait pas. Vienne est plus proche de la frontière ukrainienne que de la Suisse. Le pays n’est pas à l’abri d’une menace venant des airs ou d’actions hybrides. C’est pourquoi il a consenti un important effort financier pour remettre à niveau son outil de défense d’ici 2032. C’est une rupture qui marque la fin des dividendes de la paix.
La mission de défense a ainsi cherché à analyser l’évolution du positionnement de l’Autriche. Tout en restant neutre – à la différence de la Finlande et de la Suède – elle a assuré un soutien humanitaire et financier à l’Ukraine et a connu une évolution importante de son rapport à la menace. Cette analyse a pu se faire à travers des échanges approfondis avec le partenaire autrichien et en s’appuyant sur des sources ouvertes.
La guerre en Ukraine et ses conséquences géopolitiques occupent une place importante dans l’analyse autrichienne des risques, le Risikobild. La mission de défense en a tiré les principaux enseignements et les a relayés vers les Armées. Que ce soit pour répondre aux demandes du ministère des Armées ou du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, ce travail permet de mieux comprendre le partenaire autrichien et de trouver des convergences de vues, y compris sur l’après-conflit.
Avec le déclenchement de la guerre en Ukraine, nous avons ressenti un besoin de renforcer les liens bilatéraux en matière de défense, qui s’inscriraient aussi dans un cadre européen. L’Autriche est un point de passage important pour les pays de l’OTAN qui contribuent à consolider la posture de l’Alliance sur le flanc Est de l’Europe. La mission de défense joue là aussi un rôle de facilitateur. Le suivi des survols et des transits par l’Autriche, qui ont augmenté significativement dans le contexte actuel, représente une part non négligeable du travail de la mission de défense.
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