La jeunesse s’engage : avoir 20 ans dans les armées
Être militaire à 20 ans, en 2025, est un engagement qui ne doit rien au hasard. Des jeunes Français ont bien saisi les enjeux sécuritaires et se tournent vers le monde militaire, à l’heure de la résurgence des conflits. De leur côté, les armées multiplient les initiatives en faveur de cette jeunesse, vitale pour l’avenir de la France.
Les articles sont tirés d'Esprit défense n° 16 (juillet 2025), consacré à la jeunesse française dans les armées.
Lire le magazine« La jeunesse est l’avenir de notre Nation. Celle d’aujourd’hui est une force en devenir. Enthousiaste, généreuse, débordant d’idées et d’énergie, elle ne demande qu’à agir. Ses motivations sont diverses, mais ses attentes restent fortes, sa volonté d’engagement est là. »
Par ces mots, le général Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées, a dessiné les contours d’une ambition pour la France : l’investissement de ses jeunes. Chaque année, ils sont environ 26 000 à s’engager dans les armées françaises. L’armée de Terre en accueille 16 000, tandis que la Marine nationale ainsi que l’armée de l’Air et de l’Espace ouvrent chacune leurs portes à 4 000 jeunes. Pas de doute non plus, quand on regarde les chiffres : une part non négligeable des jeunes Français ont soif de « militarité », qui est de plus en plus assumée. Les années 1970 et l’antimilitarisme, alimenté par l’Union soviétique, et mâtiné de « tendance hippie », ont fait leur temps. Dans une étude inédite1, conduite par la sociologue Anne Muxel, chercheuse au CNRS2 et directrice du centre de recherches politiques de Sciences Po, il ressort que 57 % d’entre eux seraient prêts à s’engager en cas de conflit. Par ailleurs, 62 % des 18-25 ans prônent un retour du service militaire.
C’est « une génération très consciente des menaces de guerre, même si ce n’est pas dans leurs préoccupations premières, comme les enjeux climatiques et environnementaux. En effet, 47 % des jeunes croient une guerre possible sur le sol français, et 58 % pensent qu’une guerre mondiale peut avoir lieu », précise-t-elle.
Large panel d’initiatives existantes
Ces constats positifs ne peuvent qu’inciter le Gouvernement à déployer l’éventail le plus large possible de dispositifs susceptibles d’attirer les jeunes vers les métiers militaires. Les initiatives sont nombreuses et certaines sont aussi très anciennes. C’est le cas de la Commission armées-jeunesse, une entité affiliée au ministère des Armées, qui existe depuis 1953 et qui s’attache à faciliter la compréhension mutuelle entre la jeunesse et les forces armées, à travers un réseau de 101 organismes. Les Cordées de la réussite, créées en 2008, permettent à des collégiens et lycéens de bénéficier d’un accompagnement par des élèves officiers et ingénieurs d’une grande école de la défense, dans le cadre de leur future orientation. L’initiative a pour but de promouvoir une plus grande équité sociale dans l’accès aux formations de l’enseignement supérieur.
Plus connue du grand public, la Journée défense et citoyenneté (JDC) vient d’être réformée grâce à un programme interactif, innovant et immersif. Environ 800 000 jeunes sont convoqués, durant une journée, par l’un des 33 Centres du service national de métropole et d’outre-mer. Ils se voient délivrer les enseignements clés du monde des armées, dans le but de renforcer la cohésion nationale et l’esprit de citoyenneté. Quant au Service militaire volontaire (SMV), il fête cette année ses dix années d’existence. Le SMV accompagne les jeunes de 18 ans à 25 ans pour qu’ils puissent trouver leur place dans la société. Il a permis à 82 % des volontaires stagiaires de réussir leur intégration professionnelle en dépit de la crise de la Covid-19.
Zoom sur les jeunes (futurs) militaires
Alors, durant une journée, pour le temps d’une formation en école, pour quelques années ou pour la vie, nombreux sont ceux qui, à un jeune âge, se tournent vers les armées. Entre défi professionnel, engagement patriotique, dépassement existentiel et choix de la sécurité professionnelle, qui sont ces jeunes hommes et femmes qui ont fait le choix d’une carrière militaire ?
L’aspirant Jules, 21 ans, souhaite devenir pilote de chasse, dans l’idéal sur un Rafale. Il est actuellement en deuxième année à l’École de l’Air et de l’Espace, qui est implantée à Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône). Créée en 1935, sur proposition du ministre de l’Air Pierre Cot et du Président de la République, cette grande école militaire fête cette année ses 90 ans. Pour le jeune homme, ce choix de l’École de l’Air a été une évidence. Il a toujours été « passionné par l’aéronautique », comme son grand-père qui était par ailleurs résistant pendant la Seconde Guerre mondiale. S’il n’a pas connu son aïeul, l’aspirant Jules reconnaît que son parcours a influé sur son engagement militaire. « C’est un idéal qui m’a guidé et qui me guide toujours, parce que j’ai toujours ses médailles dans ma chambre », raconte-t-il.
Conscient des enjeux de sécurité actuels, Jules affirme également que les attentats de 2015, notamment celui du Bataclan, ont réveillé le « sens du service » qui germait déjà en lui. Les attentats ont « déclenché en moi l’envie de vraiment servir à quelque chose pour mon pays. La vague des attentats a entraîné une grande unité pour la France. Cela a vraiment retenti partout », confirme-t-il.
À 19 ans, Lilou, originaire de La Réunion, est engagée volontaire sous-officier dans la filière « Maintenance aéronautique » à l’École nationale des sous-officiers d’active (Ensoa).
Auparavant, elle était déjà réserviste opérationnelle. Elle fait partie de la promotion « sous-officiers de la Victoire 1945 » qui défilera à l’occasion du 14 juillet à Paris, et elle participera à la remise des galons des sous-officiers à l’Ensoa, basée à Saint-Maixent-l’École (Deux-Sèvres). Si elle n’a pas de terreau familial particulièrement fertile – sa mère a encouragé son choix, tandis que son père s’en était d’abord légèrement inquiété –, pourtant sa vocation « ne date pas d’hier non plus. Ça fait quand même quelques années. De plus, j’ai eu l’opportunité de pouvoir déjà m’engager dans la réserve pour faire mes premiers pas dans l’armée. Et dès que j’ai su ça, j’ai sauté sur l’occasion », explique celle qui reconnaît sans problème n’avoir « jamais été très à l’aise dans le civil ». Après un an et demi de réserve, elle est entrée à l’Ensoa avec un enthousiasme contagieux. C’était pour elle une évidence. Ce mot, l’évidence, est également au cœur de l’engagement d’Emma, élève maistrancier. Âgée de 20 ans, cette élève de l’École de maistrance (Brest) affirme avoir « toujours aimé regarder des documentaires sur l’armée », et ce depuis toute petite. Devenue sapeur-pompier dès l’âge de 13 ans, elle s’engage plus tard comme réserviste au sein du bataillon de marins-pompiers de Marseille. Elle souhaitait aller plus loin dans son engagement et rejoindre un parcours d’active. Plusieurs éléments ont joué dans sa décision, comme le fait d’éprouver une attirance indéniable pour le milieu maritime et d’avoir entendu de nombreuses anecdotes des membres de sa famille également engagés dans la Marine nationale. Emma a choisi une nouvelle spécialité de la Marine : « Maîtrise des risques nucléaires » ; un choix qui lui permettra d’embarquer sur le porte-avions Charles de Gaulle, « l’un des plus beaux bâtiments de la Marine nationale ». Pour elle, les armées apportent aux jeunes « le cadre, la rigueur, la discipline et l’esprit d’équipe ».
Sécurité et reconnaissance
Dans une société qui a connu, au cours du XXe siècle et après deux guerres mondiales, une dilution de certaines formes d’autorité, perdure pourtant une recherche d’un « cadre » chez bon nombre de jeunes. Le sociologue Jean-François Léger note qu’il ne faut pas sous-estimer l’importance de ce cadre « strict » et protecteur qu’apportent les armées aux plus jeunes.
« Le fait de voir sa place fixée et son quotidien réglé est particulièrement sécurisant pour les jeunes qui entrent dans l’armée avec un déficit de confiance en eux […] Ces derniers pensent trouver une communauté professionnelle caractérisée par le respect de l’autre. Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement quand le fondement de toute action militaire est la solidarité ? », écrit-il3. « Ça apporte une sécurité de l’emploi aussi, qu’on ne trouve pas forcément partout et qui peut être assez intéressante pour un jeune », confirme Jules.
Une comparaison qu’on retrouve à travers les mots de Lilou : « Les personnes qui nous entourent deviennent notre famille, on est tous les jours avec elles, donc on peut aussi trouver un cadre. On peut parler de tout, on a les mêmes soucis, les mêmes angoisses. »
L’engagement militaire permet de « créer des liens très forts avec des personnes que l’on n’aurait jamais rencontrées autrement. On est très soudés les uns les autres, on est tous sur la même longueur d’onde », renchérit Emma.
Une jeunesse aussi enthousiaste peut être « un grand atout pour les armées. Elles doivent s’appuyer sur ce qu’elles sont en mesure d’offrir en réponse aux attentes des jeunes, en matière de valeurs, de sens et de mise à l’épreuve de soi. Ces atouts existent, il faut créer les bonnes passerelles et avancer les bonnes propositions pour toucher des jeunes prêts à s’engager », confirme Anne Muxel. L’engagement, oui, mais plus à n’importe quel prix. « C’est là où cette génération a des spécificités, les jeunes veulent être considérés par rapport à leurs projets personnels, par exemple », ajoute-t-elle. Même constat du côté du général de corps d’armée Pierre-Joseph Givre, directeur du Service national et de la jeunesse, et principal architecte de la JDC nouvelle génération : « La jeunesse est paradoxale. Elle est très individuée et parfois individualiste. Pour autant, elle a soif de sens et de collectif ; elle a aussi besoin d’exemplarité, d’être convaincue, d’adhérer, d’être guidée. »
1 Les jeunes et la guerre : représentations et dispositions à l’engagement, publiée en 2024.
2 Centre national de la recherche scientifique.
3 Léger, J.-F. (2003). « Pourquoi des jeunes s’engagent-ils aujourd’hui dans les armées ? » in La Revue française de sociologie, pp. 713-734.
Rapports de réciprocité
Anne Muxel évoque une « nouvelle grammaire morale », où le jeune raisonne ainsi : « Je peux apporter quelque chose, mais il faut aussi que l’Institution m’apporte quelque chose, je dois constater mon efficacité. »
« Il y a aussi un besoin d’être reconnu dans leur possibilité d’initiative, d’autonomie, de responsabilité. C’est une demande extrêmement forte qui redéfinit le cadre de l’obéissance, de l’acceptabilité de la contrainte. Les jeunes sont prêts à être tirés vers le haut, mais aussi à ce qu’on leur confie des responsabilités », avance également la sociologue. La société française – aussi bien le monde du travail que les armées – semble peiner à redéfinir le concept d’engagement. « L’armée apporte à un jeune des responsabilités et de l’action, de l’aventure qu’on ne retrouve pas dans tous les métiers. De son côté, un jeune assure la relève par rapport aux générations précédentes. Le but est d’être prêts à faire face aux menaces qui nous attendent et qui évoluent avec le temps. Et puis, nous apportons forcément du dynamisme et un peu de… jeunesse ! », renchérit Jules. Lilou estime que les jeunes apportent « un regard toujours neuf sur le monde, sur les conflits géopolitiques, surtout sur la défense nationale ».
Révéler les talents
C’est l’un des points forts du monde militaire : faire la place à tous les types de profils, venus d’horizons sociaux variés. Pas de personnalités dévalorisées, uniquement des soldats motivés pour servir la France. « Dans le référentiel actuel, seules les études prévalent. Or, il y a de nombreuses intelligences que nous ne révélons pas. Les jeunes perdent confiance en eux. S’ils ont échoué à l’école, ils sont en grande déshérence », estime le général Givre. Lilou elle-même confirme connaître « beaucoup de personnes qui se sont engagées parce qu’elles n’avaient plus de cadre familial. Elles n’avaient plus de repères, rien. Elles se sont engagées pour avoir justement ces repères, pour trouver leur place et acquérir une discipline. »
En réalité, les motifs d’hésitation d’un jeune à s’engager dans les armées sont généralement les mêmes que ceux qui vont le séduire : il va « sortir de sa zone de confort », comme l’explique l’engagée volontaire sous-officier Lilou. « L’armée leur renvoie une image singulière. Nous sommes un espace fermé, nous avons des règles strictes de discipline et de hiérarchie. C’est une réalité décalée par rapport à une société très libérale. Les jeunes sont tiraillés entre l’individualisation à outrance et un collectif militaire dont ils intuitent la force et l’intérêt pour eux mais qui reste très impressionnant », analyse de son côté le général Givre. La jeunesse militaire n’est pas un ovni. Néanmoins, le cadre pour lequel elle a opté la place indéniablement sur une autre longueur d’onde. « Je ressens un décalage par rapport aux jeunes de mon âge qui sont civils, reconnaît Lilou. Dans l’armée, nous sommes plus terre à terre, nous avançons main dans la main, avec un objectif commun. Le plus âgé de ma section a 27 ans, j’en ai 19. Et pourtant, on s’entend comme deux personnes qui auraient le même âge, qui auraient grandi ensemble. »
Nouveau cadre, nouveau « moi » ?
Jouissant d’un fort imaginaire collectif, qui plus est chargé d’Histoire, les armées peuvent se révéler un immense atout pour les jeunes. « S’engager à vingt ans dans les armées, c’est faire le choix d’un véritable changement », comme l’a écrit Jean-François Léger. Même son de cloche chez l’engagée volontaire sous-officier Lilou : « C’est une autre manière de voir la vie. On apprend de nouvelles valeurs, comme l’entraide, la fraternité ! » La jeune femme est d’ailleurs capable de tirer un premier bilan de son investissement. Oui, elle estime avoir changé, en bien : « Pour le dépassement de soi, c’est formidable. En seulement quelques mois d’engagement à l’école, je vois déjà une évolution, surtout du côté intellectuel et du côté sportif. »
Si l’aspirant Jules devait s’adresser à un jeune en plein questionnement, il lui conseillerait de « ne pas hésiter. S’il est certain de ses convictions, s’il a envie de prendre des responsabilités, il faut foncer, car c’est une carrière qui sera certainement très riche et diversifiée. » « La meilleure chose à faire, c’est d’essayer », approuve Lilou. Pour sa part, Emma lui dirait que « c’est une expérience incroyable, qui permet d’acquérir des connaissances spécifiques et surtout pratiques, de faire des choses dont on ne se serait jamais cru capable. Et ça permet aussi de voyager dans le monde entier. »
Fruit d’une vocation, d’une histoire familiale ou d’un désir profond, l’engagement militaire des jeunes Français se développe aujourd’hui par le biais de multiples facteurs, notamment des formations de qualité proposées et du sentiment d’utilité et de responsabilité qui accompagnent leur entrée dans le monde militaire. Les armées ont compris le caractère essentiel de ces forces vives qui seront les combattants de demain, et la nécessité de les sécuriser, de les former et de les stimuler. Car, comme l’a justement fait observer le général Givre, « on ne naît pas soldat, on le devient ».
Par Ella Micheletti-Huertas
Avoir 20 ans dans les armées
Montée en puissance de la réserve, modernisation de la Journée défense et citoyenneté, création d’une école des apprentis de la Marine… Comment les armées entendent-elles renforcer leur lien avec la jeunesse ? Décryptage à travers notre série d'articles.
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