Kurun 2025 : sous le feu de l’entraînement
« L’autre terreur après la foudre », c’est la devise du 11e régiment d’artillerie de Marine (RAMa), qui s’est déployé depuis la Bretagne jusque dans le Var, pour s’entraîner à la haute intensité lors de l’exercice Kurun 2025. Le scénario : contrer l’invasion d’un territoire. Immersion.
Camp de Canjuers, dans le Var. Là où, depuis les hauteurs des plateaux, nous pouvons apercevoir la mer Méditerranée, 350 soldats du 11e RAMa s’affairent. Depuis deux semaines, ils mènent une manœuvre d’artillerie d’envergure contre un pays qui a envahi un État allié. Sur les 35 000 hectares du camp, les bigors1 évoluent avec un rôle précis : à l’avant, les observateurs sont les yeux de la manœuvre. À l’arrière, la destruction de l’ennemi est le mot d’ordre. Bienvenue dans l’exercice Kurun 2025.
Au milieu des pins sylvestres et de la garrigue, il est nécessaire d’ouvrir l’œil pour repérer le Griffon VOA2 – qui n’est pourtant pas une petite voiture, avec ses 25 tonnes et ses six roues motrices. « L’objectif ? Voir sans être vu », indique le sergent-chef Manuarii. Il est le chef d’une équipe pouvant aller jusqu’à cinq observateurs, dont un « radio » ainsi que des opérateurs radar et drone. Sa mission consiste à « apporter une aide, soit par le feu, soit par le renseignement, aux unités appuyées, la cavalerie et l’infanterie. » Pour cela, le Griffon déploie une boule optronique à 5 m 14 du sol. Les caméras et autres senseurs, infrarouges ou thermiques, transmettent leurs données aux six écrans à l’intérieur du véhicule. Le sergent observateur dispose alors d’un visuel large et précis sur tout le champ de bataille, de jour comme de nuit. Il vient justement de repérer un char ennemi. L’information est transmise au poste de commandement, qui ordonne de neutraliser la cible. Le sergent n’a plus qu’à pointer le char sur l’ordinateur pour « télémétrer3 » et transmettre ses coordonnées aux pièces d’artillerie.
Infiltration nocturne
Pendant ce temps, dans les bois, quatre soldats de l’équipe légère d’appui spécialisée gravissent une colline escarpée, sous une pluie battante. Un camouflage noir et vert leur barre le visage. Casque lourd, fusil d’assaut, gilet pare-balles. Ils se sont infiltrés à deux heures du matin pour traverser les lignes ennemies. « Nous devons repérer une équipe de drones adverse », indique le sergent-chef Wilfried, 31 ans. À la jonction des forces spéciales et des forces conventionnelles, ce groupe a pour mission d’acquérir, de renseigner et d’effectuer des feux dans la profondeur. Un savoir-faire qui demande de « faire preuve de rusticité » précise le chef de cette équipe soudée, car ils partent la nuit et marchent « jusqu’à huit kilomètres avec parfois de lourdes charges sur le dos, mais rien de surhumain. L’humour fait aussi partie des qualifications, surtout avec ce temps ! »
La foudre du 11e RAMa
À dix kilomètres de là, la batterie de Caesar reçoit un ordre pour une « mise en batterie inopinée ». Alors que les canons, enchâssés dans des véhicules, progressaient sur une route boueuse et accidentée pour se ravitailler, les soldats doivent s’installer le plus rapidement possible afin d’effectuer un tir. Rapidement, l’équipe de reconnaissance indique une zone assez large et dégagée pour aligner les quatre pièces d’artillerie. En peu de temps, les canons de huit mètres de long se déploient, faisant basculer les véhicules vers l’avant pour plus de stabilité. Les bigors s’activent autour de chaque pièce ; l’un d’eux porte un obus de 43,5 kg pour charger ce dernier à l’arrière. Un autre règle sur un écran les coordonnées de la cible, reçues quelques secondes plus tôt. Dans cette chorégraphie bien rodée, la pièce située à droite tire le premier coup, puis les trois autres enchaînent. « Feu ! » Les déflagrations font trembler le sol. L’odeur de poudre emplit l’air. Les soldats, agenouillés à quelques mètres de leur canon, les mains sur les oreilles, se relèvent aussitôt, prêts à charger une deuxième munition.
Après confirmation de la neutralisation de la cible par les observateurs, les équipages remballent leur matériel en moins de deux minutes pour rejoindre le plus vite possible une nouvelle position de camouflage. Le but : éviter un tir de contre-batterie. « Notre ennemi en face est capable de nous détruire, explique le lieutenant Grégoire, chef de section. C’est ça, la haute intensité. » Pour s’en prémunir, un seul mot d’ordre : « Je tire, je bouge. »
Les échos d’autres détonations résonnent au loin dans la vallée. Ce sont les mortiers de 120 mm qui orchestrent leur concert de feu. Le premier tir d’essai demande des corrections, apportées par les observateurs. Le pointeur regarde d’un œil dans le goniomètre, l’appareil de visée, et tourne une manivelle pour ajuster l’azimut du canon. Simultanément, le pourvoyeur récupère un obus que le chargeur, aidé d’un marchepied, insère dans le canon du mortier. Le sergent Morgan, opérateur pièce, dirige chaque étape. Quand l’arme est parée, l’équipe pose un genou à terre, dos à la pièce, et attend le signal. « Feu ! », crie le sergent. L’artificier tire d’un coup sec sur une corde qui déclenche le tir. Une flamme jaillit du tube et propulse l’obus à plusieurs kilomètres de distance.
Un PC indétectable
Toutes ces équipes sont coordonnées par le poste de commandement (PC) régimentaire. De l’extérieur, c’est une maison de campagne mais, à l’intérieur, une véritable salle des opérations se dessine. Six officiers et sous-officiers sont installés à une table, derrière leur ordinateur. « L’utilisation des drones par les adversaires oblige les PC lourds à se disperser dans des bâtiments déjà existants, pour ne pas être repérés du ciel, relève le commandant Yann, chef de la préparation opérationnelle du 11e RAMa. C’est un retour d’expérience de l’Ukraine. » Autre nouveauté, « l’hybridation » des moyens de communication. L’enjeu est d’éviter toute interception en combinant des moyens militaires et des réseaux civils. « Nous diluons nos communications dans les flux civils pour ne pas être détectés », explique le commandant. Kurun offre ainsi la possibilité de tester des dispositifs innovants dans des conditions quasi réelles.
Après deux semaines à dormir sur le terrain et à être soumis à des attaques – chimiques, de commandos ou de drones, les artilleurs du 11 ne semblent pas affectés par la fatigue ou le stress. Au contraire, cet exercice amène les soldats à gagner en précision et en endurance. Un pas de plus vers la haute intensité.
Par Laura Garrigou
1 Militaires servant dans les régiments d’artillerie de Marine.
2 Véhicule d’observation d’artillerie.
3 Terme utilisé pour déterminer les coordonnées d’un objectif
A la une
Désinformation pro-russe : décryptage d’une fausse citation
Une vidéo virale attribuant une fausse citation au chef d’état-major de l’armée de Terre illustre une mécanique réc...
10 septembre 2025

Nato Mission Iraq : comment l’OTAN aide l’Irak à se stabiliser
Le général de division Christophe Hintzy présente la mission de l’OTAN qu’il commande en Irak (NMI – Nato M...
09 septembre 2025

Radar Nostradamus : détecter plus haut et plus loin
L’Europe, avec la guerre en Ukraine, est confrontée à un retour des menaces balistiques et hypersoniques. P...
05 septembre 2025
