[Pensez stratégique] Guerre en Ukraine : trois ans déjà
Pour ce 13e épisode de Pensez stratégique, le podcast de décryptage des enjeux de défense et de sécurité, Daniel Desesquelle et ses invités reviennent sur les trois ans de guerre en Ukraine et analysent la place des autres acteurs internationaux, notamment l’Union européenne et les États-Unis.
Triste anniversaire. Trois ans après la déclaration de guerre de la Russie à l’Ukraine, le conflit continue de mobiliser l’ensemble des acteurs étatiques et militaires de la scène internationale. Pour le podcast Pensez stratégique, animé par Daniel Desesquelle, plusieurs universitaires spécialistes du sujet ont développé des axes de réflexion : Anna Colin Lebedev, politologue, maître de conférences en science politique à l'université Paris-Nanterre et spécialiste des sociétés post-soviétiques, David Cadier, chercheur « Sécurité Européenne » à l'IRSEM, et Maud Quessard, maître de conférences des universités et directrice du domaine « Europe, Espace Transatlantique, Russie » à l'IRSEM.
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Ecoutez le podcastLa résistance ukrainienne
Bien qu’elle se trouve en infériorité numérique, l’Ukraine déjoue les pronostics négatifs qui tendaient à la voir automatiquement et rapidement perdante face à l’envahisseur russe. Trois ans plus tard, le pays résiste toujours. « La caractéristique remarquable sur ces trois dernières années, c’est que les forces armées ukrainiennes ont tenu, que la société ukrainienne a tenu, que la légitimité politique du pouvoir est toujours en place et que le sens de la guerre n’a pas changé pour les Ukrainiens », explique Anna Colin Lebedev. Cette résistance se heurte toutefois à plusieurs limites. D’abord, la capacité numérique de l’Ukraine. En février 2022, les forces armées disposait d’environ 246 000 soldats actifs et 900 000 réservistes. Fin 2022, le gouvernement ukrainien avait déclaré disposer de manière effective de 700 000 hommes. De son côté, la Russie a décidé de porter, au 1er décembre 2024, ses effectifs à 1,5 million d’hommes.
Or, pour l’Ukraine, « on arrive dans une situation où la mobilisation va toucher des gens, d’une part, sans grande expérience militaire, voire sans expérience militaire du tout, qui sont beaucoup plus difficiles, en réalité, à motiver et à entraîner », estime la politologue.
Paradoxalement, « l’avantage » de l’Ukraine est que « 70 % des Ukrainiens ont aujourd’hui un proche sur le front », précise Anna Colin Lebedev. Et d’ajouter : « Tout un pan de la société ukrainienne s’engage dans la guerre autrement qu’en prenant les armes, en approvisionnant le front, avec des collectes pour acheter de l'équipement, par un engagement volontaire dans différents mouvements qui soutiennent les vétérans et les combattants ou l’évacuation des blessés depuis la ligne de front ». Résister est une question de survie physique mais aussi territoriale pour les Ukrainiens. Au total, on dénombre environ un demi-million de personnes, soit blessées, soit tuées des deux côtés.
L’évolution fluctuante du front
Entre la ténacité des Ukrainiens et la stratégie offensive de la Russie, il est difficile de dire si un belligérant a réussi à prendre l’avantage sur l’autre. « Il est vrai que ces derniers temps, c'est plutôt la Russie qui avance de manière minime. Par exemple, en 2024, la Russie a gagné six fois plus de terrain en Ukraine qu'en 2023. Malgré tout, si le même ratio continuait, il leur faudrait un an de plus pour conquérir tout l'oblast de Donetsk. Donc, le front ukrainien tient », observe David Cadier. D’autant que l’Ukraine a obtenu des succès stratégiques, notamment en mer Noire, en contenant la marine russe grâce aux systèmes de défense occidentaux.
Le soutien occidental, la France et les États-Unis
Les soutiens occidentaux de l’Ukraine jouent un rôle non-négligeable dans cette guerre d’usure, à commencer par la France. Cette dernière est investie notamment dans la formation des soldats ukrainiens. Depuis 2023, 200 soldats français et une cinquantaine d’interprètes se relaient en Pologne pour entraîner 600 soldats tous les deux mois sur un camp de la région de Wedrzyn, dans le cadre d'une mission de formation de l'Union européenne (EUTM Ukraine). Car l’Union européenne, elle aussi, est engagée dans l’aide apportée au pays attaqué. D’ailleurs, « l’aide économique et financière européenne est maintenant supérieure à l’aide apportée par les États-Unis. Ce dépassement a eu lieu dans l’année passée », note encore David Cadier. Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a annoncé un nouveau versement de 3,5 milliards d’euros pour l’Ukraine ce lundi. Il « arrivera dès le mois de mars », a-t-elle indiqué lors de son déplacement à Kiev.
Avec l’administration Trump, l’aide américaine s’amenuise de manière drastique amenant, à terme, à une négociation inévitable. Pour le chercheur, « Donald Trump va d'abord vouloir une négociation. On sait que ce sera une négociation qui n'aura pas simplement trait à l'Ukraine, mais probablement à la sécurité européenne dans son ensemble, puisque c'est ce que les Russes essaieront d'imposer ». Mais « on ne peut pas imaginer parler de sécurité européenne sans les Européens autour de la table », insiste-t-il. Il convient également de noter le changement qui s’est opéré, entre le candidat Donald Trump, qui voulait résoudre le conflit en 24 heures, et le président nouvellement élu, qui se donne désormais 100 jours pour mettre fin à la guerre. Pour Maud Quessard, « la perspective de Trump est d'apporter aussi son legs à l'Histoire et peut-être de s'inscrire dans une concurrence avec l'histoire que veut écrire Vladimir Poutine ». De son côté, l’Union européenne continue d’opter pour la voie punitive. C’est pourquoi elle a adopté un 16ᵉ train de sanctions contre la Russie, ce lundi. Ces dernières visent à limiter les exportations de pétrole russe et comprennent une interdiction d’importer de l’aluminium russe dans l’UE.
La paix : processus, acteurs et conditions
Le futur des Ukrainiens reste soumis à plusieurs hypothèses. Des négociations conduisant à la paix peuvent-elles rapidement aboutir ? « Pour les Ukrainiens, la guerre s’arrête dans une seule hypothèse : lorsque la Russie renonce à ses prétentions de fragiliser, voire d’annihiler la souveraineté ukrainienne », assure Anna Colin Lebedev en guise de conclusion.
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