Viginum : le rempart contre les ingérences numériques étrangères
Atteinte potentielle aux intérêts fondamentaux de la Nation, contenu manifestement inexact ou trompeur, diffusion artificielle et automatisée, implication directe ou indirecte d’un acteur étranger : ce sont les quatre critères sur lesquels s’appuie Viginum, le service d’investigation en sources ouvertes de l’État, pour caractériser une ingérence numérique étrangère. Reportage.
Article publié dans Esprit défense n° 14 (mars 2025), consacré à la désinformation.
Lire le magazineSon nom ne vous dit probablement pas grand-chose. Pourtant, Viginum, le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères, est un rouage essentiel dans la lutte contre la désinformation. Pour accéder à cet organisme – créé en 2021 et rattaché au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) – il faut se rendre dans un lieu discret de la capitale, à l’abri des regards. Ses missions ? Détecter et caractériser les ingérences numériques étrangères affectant le débat public en France, avant de les dénoncer dans des rapports publics. Certains ont d’ailleurs fait grand bruit l’année dernière, à l’instar d’« UN-notorious BIG1 », de « Matriochka2 », ou encore de « Portal Kombat3 ».
L’activité du service se décline notamment autour d’opérations de protection ciblées sur une thématique particulière, et pour laquelle une posture de vigilance est nécessaire. Il peut s’agir d’événements institutionnels, démocratiques, politiques, sportifs, connus et planifiés – à l’image des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 – ou bien en lien avec l’actualité et susceptibles d’être instrumentalisés.
Les chiens truffiers
Dans son combat contre les manipulations de l’information en ligne, Viginum peut compter sur une vingtaine d’analystes. Leur spécialité : l’investigation en sources ouvertes, c’est-à-dire accessibles publiquement sur internet. « Nous passons beaucoup de temps sur les réseaux sociaux, car c’est souvent là que les infos sortent en premier. Nous essayons ensuite de remonter à la source », explique Jérémy. Victor abonde dans son sens : « Chaque analyste a ses domaines d’expertise et, comme le groupe se connaît bien, il est facile de se répartir certains sujets. Il nous arrive donc de repérer des bots, par exemple une quarantaine et, en tirant la ficelle, on arrive finalement à en dénicher 12 000. » De ce fait, la masse est souvent l’une des difficultés à surmonter. « Finalement, les analystes sont un peu des chiens truffiers. Mais dès qu’il y a un volume important de données, il nous faut des outils pour les analyser », précise Jérémy.
Heureusement, l’équipe du datalab4 est là pour les aider. « Notre boulot est d’appuyer les analystes dans leurs investigations. Par exemple, lorsqu’ils s’intéressent à une grande quantité de données, nous allons automatiquement récupérer ces dernières, puis nous les traitons à l’aide d’algorithmes », dévoile Agnès, une data scientist5. Cela peut consister en des analyses simples, comme l’étude des heures de publications d’un compte, sur un réseau social, pour identifier des fuseaux horaires et donc une potentielle origine géographique. Autre exemple : les analystes n’ont pas besoin de visionner chaque vidéo diffusée par un média étranger suspect. Le datalab possède les outils de transcription, de traduction et de résumé automatiques pour les passer en revue. « Nous créons aussi des outils en interne pour que les analystes soient plus indépendants dans leurs investigations. C’est donc un travail sur le long terme », révèle Agnès.
Des profils variés
Viginum, c’est aussi une équipe « infrastructure » composée de deux personnes sans qui rien ne serait possible. Si leurs missions sont diversifiées, la priorité est de fournir à tous des moyens informatiques suffisamment sécurisés, malgré l’utilisation au quotidien d’une connexion internet lambda. « Cela passe aussi par des tâches de conception et de maintenance. Une infrastructure n’est de fait jamais terminée, mais en perpétuel mouvement. Il y a toujours des projets sur le feu, des améliorations à effectuer », reconnaît Ivann. Plus globalement, Viginum capitalise sur un vivier d’une soixantaine d’agents, tous civils, dont les parcours sont extrêmement variés. « Nos profils sont parfois techniques, comme ceux des développeurs, des “data scientists” ou des ingénieurs data et DevOps. Mais d’autres sont hybrides et ont des compétences en sciences politiques, en géopolitique, en langues étrangères, en investigation et analyse numériques (OSINT6) ou encore en marketing numérique, met en avant Ludivine, la responsable des ressources humaines. Surtout, la moyenne d’âge n’est que de 33 ans avec une quasi parité hommes-femmes. » Il n’est d’ailleurs jamais trop tard pour postuler, des postes seront ouverts au cours de l’année 2025.
EV1 Antoine Falcon de Longevialle
1 Le rapport cible un organisme de propagande d’État basé en Azerbaïdjan, qui tente de remettre en cause la souveraineté de la France dans les DROM-COM et en Corse.
2 Le rapport vise une campagne de manipulation de l’information prorusse ciblant les médias et la communauté des vérificateurs de faits, les fact-checkers.
3 Un réseau constitué de « portails d’information » numériques diffusant des contenus prorusses, couvrant positivement l’invasion russe en Ukraine et dénigrant les autorités de Kiev afin d’influencer l’opinion publique, notamment française.
4 Laboratoire de données.
5 Expert en mégadonnées.
6 En anglais, Open Source Intelligence, ou renseignement d’origine sources ouvertes.
Désinformation : la vérité malmenée
[Dossier] Véritable arme de déstabilisation, la désinformation s’immisce dans nos démocraties, altère les opinions et bouscule les équilibres géopolitiques. Quel est l’état de la menace et comment la France se protège-t-elle ? Décryptage à travers des articles, entretiens et exemples concrets.
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