[11 Novembre] Le 2e bureau, matrice du renseignement militaire contemporain : la Grande Guerre
[SERIE] L’histoire du renseignement militaire nous rappelle combien le renseignement est un métier vieux comme la guerre, et comment il lui est intrinsèquement lié. Cette histoire, dont la Direction du renseignement militaire est aujourd’hui l’héritière, peut être retracée en sept épisodes. Le troisième nous emmène dans les batailles de la Première Guerre mondiale entre 1914 et 1918.
A l'occasion des commémorations du 11 Novembre, nous republions cet article issu de notre série sur l'histoire du renseignement militaire français.
Créé en 1871 aux lendemains de la défaite militaire contre la Prusse, le 2e bureau de l’état- major général est chargé de centraliser, de coordonner et de commander l’ensemble des actions de renseignement au sein des forces armées. Il en assure ainsi l’exploitation en s’appuyant sur sa section de la statistique chargée du recueil du renseignement, rebaptisée « section de renseignement » ou « section de recherche » en 1899. Au début du XXe siècle, il connait un important succès en fournissant des éléments décisifs pour résoudre l’affaire Dreyfus et permettre finalement la réhabilitation du capitaine en 1906. Quelques années plus tard, il est à l’origine des principales victoires de la Première guerre mondiale.
Septembre 1914 : victoire de la Marne
Le 2 septembre 1914, un mois après le début de la guerre, la situation pour la France est catastrophique. Surclassées, les armées opèrent une retraite vers le sud, tâchant de gagner les vallées de la Seine et de l’Aube, exposant ainsi Paris aux armées allemandes qui parviennent à 40 kilomètres de la capitale. Le même jour, le Gouvernement quitte la capitale pour Bordeaux, tandis que le retrait du corps expéditionnaire britannique vers le sud ouvre une brèche dans le dispositif allié à l’est de Paris. Les unités de renseignement militaire de niveau tactique (2es Bureaux d’armée et dispositifs défensifs spécifiques) sont chargées de l’analyse du renseignement collecté par divers moyens d’acquisition. Ainsi, la station radio de la tour Eiffel permet d’écouter les communications allemandes et de localiser leurs émissions.
Les unités de cavalerie légère conduisent des missions de reconnaissance du dispositif ennemi et de leurs mouvements. L’aviation naissante permet également de conduire des missions d’observation. Ainsi, le 2 septembre 1914, le caporal Louis Breguet et l’observateur Watteau effectuent un vol au nord-est de la capitale. Leur constat : la 1re armée allemande ne progresse plus vers Paris mais vers le sud- est afin d’exploiter la brèche créée par le retrait britannique. Ce renseignement donnera lieu à des analyses différentes selon les entités chargées de son exploitation. Ainsi, le 2e bureau de la 6e armée, en charge de Paris, ne croit pas à une inflexion de la progression allemande et met en doute les observations d’un capteur alors décrié*. D’autant qu’aucune photo ne permet d’appuyer le compte-rendu oral de l’observateur Watteau…
À l’inverse, ce renseignement est pris au sérieux au sein du secteur défensif de Paris. Le général Gallieni, qui commande la place de Paris, ordonne dès le lendemain, le 3 septembre, la conduite d’une nouvelle mission aérienne, et il demande au 2e bureau d’élargir les recherches pour tenter de confirmer le premier renseignement recueilli. Un succès : non seulement la reconnaissance aérienne confirme la nouvelle direction prise par les Allemands, mais les équipes d’interception électromagnétiques de la tour Eiffel recueillent des messages allemands confirmant la cinématique de la 1re armée allemande vers le sud-est. Fort de ces renseignements, le 5 septembre, le général Gallieni lance la 6e armée française sur le corps d’armée ennemi esseulé, et il convainc le général Joffre de lancer parallèlement une contre- offensive générale pour fixer les autres armées allemandes. Le 11 septembre, sous cette pression, les Allemands reculent de 60 kilomètres. En alliant l’efficacité du recueil multi-capteurs avec une analyse pertinente, le renseignement militaire français vient d’écrire ses premières pages de gloire de l’histoire de la Grande Guerre.
2 juin 1918 : le « Radiogramme de la victoire »
Au cours de la guerre, le déchiffrement des messages allemands constitue l’un des principaux axes d’effort du 2e bureau. Une mission ardue, car les Allemands font régulièrement évoluer leur code. Mais le 2e bureau peut compter sur des passionnés comme Georges Painvin. Ce professeur en géologie et en paléontologie a rejoint le service lors de la mobilisation. Fou de « chiffres », il est analyste au service de cryptographie, surnommé le « cabinet noir » du 2e bureau. Le 5 avril 1918, Georges Painvin parvient à identifier deux clefs de cryptage allemandes. Une avancée remise en question le 30 mai, lorsque les Allemands complexifient leur cryptage. Mais dès le 2 juin, l’opiniâtre Painvin parvient à casser ce nouveau code, après 26 heures de travail acharné. Il transmet la version en clair d’un message allemand qui demande aux avant-postes de la région de Compiègne de « hâter leur approvisionnement en munitions ». Épuisé, Painvin s’effondre et doit être hospitalisé.
Le 2e bureau analyse immédiatement ce renseignement et en conclut qu’une offensive allemande est imminente dans ce secteur. Le général Foch y dispose des troupes de réserve qui parviennent à entraver la tentative de percée allemande. Georges Painvin est fait chevalier de la Légion d’honneur le 10 juillet 1918. Le message allemand décrypté restera gravé dans l’Histoire. Son surnom : le « Radiogramme de la victoire ».
14 juillet 1918 : découverte des plans de l’offensive de Champagne
Avant la guerre, la cavalerie légère avait pour habitude de mener des opérations de reconnaissance afin de recueillir du renseignement d’origine humaine. Mais comment adapter ces manœuvres à la guerre de tranchées ? Les avions et les ballons sont utiles, mais insuffisants. La meilleure façon d’obtenir du renseignement sur l’ennemi, c’est de faire des incursions dans ses tranchées et de capturer des prisonniers. Ce seront les missions des corps francs. Une préfiguration des actuelles patrouilles de recherche dans la profondeur.
Début juillet 1918, des informations laissent craindre à l’état-major français un nouvel assaut allemand en Champagne. Une incursion des corps francs est lancée le 14 juillet afin de sonder le dispositif ennemi. Cette opération, conduite sur le Mont-sans-Nom, à l’est de Reims, va permettre de connaître les plans de l’offensive allemande. Les comptes-rendus d’interrogatoire de prisonniers sont immédiatement analysés par le 2e bureau, qui conclut à une offensive allemande planifiée dès le lendemain, 15 juillet. L’état-major français procède alors à une défense dans la profondeur en retirant des troupes sur la seconde ligne de défense et en appliquant un feu d’artillerie sur les positions allemandes avant qu’elles ne lancent leur offensive. Les troupes ennemies vont ainsi devoir avancer sous un feu permanent vers des positions désertes, sur lesquelles les canons allemands ont effectué une préparation d’artillerie inutile. Le renseignement militaire français a ainsi mis en échec cette nouvelle tentative allemande.
Le renseignement militaire français, l’artisan de la victoire
Le blocus allié et une sérieuse crise matérielle affaiblissent les forces allemandes. Leur armée est exsangue. Après les deux échecs en Picardie et en Champagne, elle se révèle incapable de faire face à la contre-offensive alliée du 8 août. L’Allemagne signera l’armistice le 11 novembre alors même qu’elle était encore convaincue, quelques mois plus tôt, de pouvoir l’emporter grâce aux nouvelles techniques d’assaut de ses Sturmtruppen. Le renseignement militaire français, en éventant ses plans, a transformé ses espoirs en pièges mortels.
*En 1911, le général Foch considérait que « les avions sont des jouets intéressants mais n’ont aucune utilité militaire ».
A LIRE AUSSI
Episode 2 : Le 2e bureau, matrice du renseignement militaire contemporain : l’affaire Dreyfus
Episode 5 : 1945-1992 : un renseignement militaire éclaté
Episode 6 : De 1992 à nos jours : la DRM, garante du succès du renseignement militaire
Episode 7 : La DRM face aux défis de demain : s'adapter pour éclairer l'avenir
Contenus associés
[SERIE] Mémoire du renseignement, épisode 5 : « Vox » et « Kalo », l’histoire d’amour tragique de deux agents du renseignement militaire français
Ils ont marqué l’histoire du renseignement français. Nous ouvrons leur dossier militaire. L’épisode 5 raconte le parcours héroïque et tragique d’un duo au cœur de la Seconde Guerre mondiale, le couple Trolley de Prévaux, entré dans la Résistance en 1941. Il est « Vox ». Elle est « Kalo ». Ensemble, ils vont fournir des informations de la plus haute importance qui contribueront au succès du débarquement de Provence le 15 août 1944.
12 mai 2025

[HISTOIRE] Vercingétorix face à César à Gergovie : la 1re victoire du renseignement militaire français
L’histoire du renseignement militaire nous rappelle combien le renseignement est un métier vieux comme la guerre, et comment il lui est intrinsèquement lié. Cette histoire, dont la Direction du renseignement militaire est aujourd’hui l’héritière, a commencé il y a plus de 2 000 ans avec Vercingétorix !
17 avril 2025

[SERIE] Saint-Exupéry, Baker, Picquart... : ils ont marqué le renseignement militaire français
Ils ont marqué l’histoire du renseignement français. Nous ouvrons leur dossier militaire. Antoine de Saint-Exupéry, Joséphine Baker ou encore Marie-Georges Picquart : dans cette série, nous retraçons le parcours de figures historiques, connues ou méconnues, qui ont été agents au service de la France.
25 mars 2025
