[SERIE] Mémoire du renseignement militaire, épisode 2 : Joséphine Baker, la combattante qui chantait
Ils ont marqué l’histoire du renseignement français. Nous ouvrons leur dossier militaire. Dans l’épisode 2, levons le voile sur la double vie de Joséphine Baker lors de la Seconde Guerre mondiale. La star américaine du music-hall était, en coulisses, un agent du renseignement militaire français.
Quand la guerre éclate, le 3 septembre 1939, Joséphine Baker, star américaine du music-hall, démarre une double vie au service de la France libre : l’une sous les projecteurs, pour soutenir les soldats au front et à l’arrière, l’autre dans l’ombre, pour renseigner le contre-espionnage français. La force et la précocité de cet engagement interroge encore aujourd’hui. « Pourquoi, dès 1939, une vedette américaine se met-elle au service du renseignement militaire français ? Bienvenue dans le monde des hypothèses ! Personne ne sait », concède Géraud Létang, spécialiste des Forces françaises libres et enseignant-chercheur à l’École de Guerre. « Une chose est sûre : Joséphine Baker est très engagée dans la lutte antiraciste. Or elle se sent prise en tenaille entre la ségrégation des États-Unis, son pays d’origine, et le nazisme qui menace désormais la France, son pays d’adoption », souligne-t-il.
Née le 3 juin 1906 à Saint-Louis (Missouri, États-Unis), Freda Josephine Macdonald arrive en France en 1925. Elle obtient en 1937 la nationalité française par son mariage avec Jean Lion. Dans la foulée, elle est enregistrée à l’état-civil sous son nom de scène Joséphine Baker. « Cette hypothèse n’engage que moi, mais les romans d’espionnage, à la mode à l’époque, ont pu aussi l’influencer… ! », avance Géraud Létang.
Célébrité ou clandestinité : Baker refuse de choisir
La double vie de l’artiste commence à l’automne 1939 par sa rencontre avec le capitaine Jacques Abtey du 2e Bureau, l’ancêtre de la Direction du renseignement militaire, qui l’engage comme « honorable correspondant ». Célèbre ET agent du renseignement ? Le pari est risqué et pourtant… « Joséphine Baker réussit à ne pas choisir entre les deux. Son profil s’avèrera même être un atout. Grâce à son statut et à sa notoriété, elle est autorisée à se déplacer en groupe et à traverser les frontières », explique Géraud Létang. De nombreux agents l’accompagnent ainsi sous couverture, en se faisant passer pour des imprésarios ou des techniciens. « Abtey lui demande aussi de profiter des réceptions auxquelles elle est invitée lors de ses tournées pour recueillir du renseignement sur les pays neutres qui ne sont pas encore entrés en guerre, comme l’Italie ou le Japon », ajoute-t-il.
Durant l’année 1940, Joséphine Baker continue de fournir des renseignements, malgré les difficultés. « La législation raciste de Vichy interdit aux Noirs de franchir la ligne de démarcation. Certains membres de son entourage, dont son mari Jean Lion, subissent par ailleurs de plein fouet la législation antisémite du gouvernement », commente l’historien. Épuisée par cette double vie et souffrant de graves problèmes de santé, l’artiste se retire en janvier 1941 en Afrique du Nord. Mais bientôt, l’agent reprend du service…
Baker : un agent au service de l’état-major du général de Gaulle
Entre 1943 et 1944, l’artiste se produit à nouveau au profit des troupes alliées tout en récoltant du renseignement pour l’état-major du général Charles de Gaulle. « Cette partie de l’histoire est très peu documentée. À mon avis, c’est la plus intéressante, confie Géraud Létang. Les Alliés ne disent pas tout aux autorités françaises. Le général de Gaulle est même tenu à l’écart. Joséphine Baker ne donne évidemment pas les plans du débarquement, mais elle recueille du renseignement d’ambiance. » De Gaulle pense alors déjà à l’après et prépare politiquement la Libération.
Dans ce contexte, être renseigné et soutenu par une telle figure culturelle, c’est faire coup double… L’interprète de « J’ai deux amours » incarne non seulement le Paris libre, mais son visage est aussi plus connu que celui du général. « Finalement, Baker a eu l’idée très moderne d’allier renseignement et influence. Certes, son dossier, conservé au Service historique de la Défense, ne mentionne pas la nature exacte des renseignements qu’elle a transmis à l’état-major du général de Gaulle. Je pense néanmoins qu’ils sont les plus précieux parmi ceux qu’elle a apportés à la France », estime-t-il.
« Une combattante qui chante »
En 1946, Joséphine Baker reçoit la médaille de la Résistance. La Légion d’honneur à titre civil lui est également proposée. Elle la refuse... L’artiste souhaite l’obtenir à titre militaire. De nombreuses personnalités de la France libre se mobilisent alors en soutien, dont le général Pierre Billotte, ancien chef d’état-major de Charles de Gaulle.
En 1957, un compromis est trouvé : elle est décorée de la Légion d’honneur à titre civil, mais aussi de la Croix de guerre avec palmes. « Baker a toujours refusé d’être considérée comme une chanteuse au service des armées. Elle s’est battue pour être reconnue comme une combattante qui chante », souligne l’historien. Sur la photo choisie pour célébrer son entrée au Panthéon, le 30 novembre 2021, Joséphine Baker porte l’uniforme militaire… Mission réussie.
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