Sport militaire : plus vite, plus haut, plus fort

Direction : Ministère des Armées / Publié le : 16 juillet 2024

Du bataillon de Joinville à l’Armée de champions, le sport militaire se distingue dans les grandes épreuves internationales. Bon nombre de médaillés olympiques sont issus des rangs des armées. Au-delà de l’aspect purement compétitif, le soutien important du ministère auprès de nombreux athlètes de haut niveau revêt une dimension qui dépasse la seule pratique sportive en permettant de renforcer le lien armées-Nation.

Le sergent Carolle Zahi, le maréchal des logis chef Maxime Pauty et le sergent Axel Reymond © Stéphane Lavoué

Cet article est tiré dEsprit défense n°12.

Leur mission ? Performer. Pas au combat, mais dans le sport. Leur travail ? S’entraîner et, si possible, rapporter des médailles. Soldats, marins, gendarmes, aviateurs ou agents sous contrat, ce sont les athlètes de l’Armée de champions. Certains participeront aux Jeux olympiques et paralympiques (JOP) grâce au soutien du ministère des Armées. « Sans l’armée, je ne serais plus là », assure Axel Reymond, sergent, 30 ans (nage en eau libre). Il aurait arrêté depuis dix ans pour suivre un cursus traditionnel « études-boulot ». Et « pour beaucoup de sportifs, c’est pareil », glisse-t-il.

Les armées prennent en main ces sportifs qui, pratiquant des disciplines peu médiatisées, ne peuvent vivre de leur passion. Eugénie Dorange, matelot, 25 ans (canoë-kayak), loue ce « soutien humain et financier. L’armée est derrière nous, même en cas de blessure. » Elle a l’impression d’être « dans une famille. Ça donne énormément de force. On partage un même langage. » Carolle Zahi, sergent, 30 ans (sprinteuse en athlétisme), abonde : « On n’a pas de stress pour se préparer. La notion de discipline est accentuée. Toute chose se prépare. » Maxime Pauty, maréchal des logis chef, 30 ans (escrime) : « On est là pour faire briller les couleurs de la France et les valeurs des armées. La meilleure manière, c’est de récolter des médailles. »

Le soutien des armées : un atout pour les athlètes

À l’heure des récompenses aux JOP, les podiums ne feront pas la différence entre civils et militaires. On peut pourtant égrener la longue liste des médaillés qui portent l’uniforme : Clarisse Agbegnenou (judo), Thibaut Vallette (équitation), Martin Fourcade et Anaïs Bescond (biathlon), Florent Manaudou (natation), Marie Bochet (ski parasport), Perrine Lafont (ski bosse), Michaël d’Almeida et Florian Rousseau (cyclisme sur piste), Tony Estanguet (canoë), David Douillet (judo), Jean Galfione (perche)…

« Quand tu ne pratiques pas un sport pro, c’est galère », raconte Alain Bernard. En 2007, le nageur souhaite décrocher un contrat avec la défense, pour sécuriser sa préparation avant les JO de Pékin. L’Aubagnais effectue des tests à Marseille. « Hélas, on me détecte un asthme d’effort. Incompatible avec l’état militaire. » Quelques mois passent, il bat des records du monde. Un général le rappelle pour lui faire part de son changement d’avis. « Ils ont vu ce que je pouvais apporter. » Le voilà, en mai 2008, gendarme adjoint volontaire. « Tout en bas de l’échelle. » Il gagne 900 € à 1 100 € par mois. « Ça peut paraître dérisoire quand on est champion olympique, mais pas du tout ! Ça apporte la protection sociale, les cotisations retraite, on se prépare dans la sérénité, on sort de la précarité. Et, surtout, on rencontre des personnes extraordinaires. Ça offre une ouverture d’esprit. »

Des valeurs communes

Pour le double champion olympique de 2008, sport et activité militaire cultivent les mêmes valeurs : « Rigueur, exigence au quotidien, appartenance au pays, cohésion, fierté, fidélisation, engagement… » Il en tire une leçon : « On peut être extrêmement épanoui dans un cadre rigoureux. » Voilà le message que, devenu consultant sportif, il délivre aux jeunes : « Être exigeant avec soi-même pour être exigeant avec les autres. » Quand il revêtait son uniforme de gendarme, pendant ses cinq ans de contrat, il se sentait « redevable » au point d’adopter une certaine attitude. Celle d’un ambassadeur qui valorise son institution et, au passage, conquiert de nouvelles médailles. Son seul titre de champion du monde, il l’a décroché en 2010 sous les couleurs de l’équipe de France militaire. « Il est important de garder la proximité entre les armées et la population », martèle-t-il.

Engagés pour la victoire

Le site spécial JOP 2024

Voir le site

Pour devenir, comme lui, sportif de haut niveau de la défense (SHND), le processus de recrutement est balisé : chaque fédération propose un athlète, jusqu’alors civil, en commission annuelle de recrutement. L’Agence nationale du sport et le Comité national olympique du sport français (CNOSF) émettent leur avis, puis le général Paul Sanzey, commandant du Centre national des sports de la défense (CNSD), commissaire général aux sports militaires, tranche. « Un individu ne peut pas dire “j’entre dans l’armée pour devenir SHND”, explique le commandant Erwan Lebrun, patron du bataillon de Joinville (BJ). C’est quasi impossible. »

Dans sa première version, le BJ a vu passer bien des stars parmi les 20 000 appelés qu’il a formés jusqu’à sa suspension en 2001 : Noah, Platini, Zidane… Depuis sa reprise de fonctions en 2015, au sein du CNSD à Fontainebleau (Seine-et-Marne), le bataillon encadre les athlètes professionnels titulaires d’un contrat militaire ou civil de la défense. Son effectif a été porté à 224, dont une trentaine de paralympiques, en prévision des JOP de Paris. Plus qu’une rémunération, le bataillon leur offre un « accompagnement global ». L’athlète, « on le suit, on le forme, on l’accompagne en fin de carrière », retrace le commandant Lebrun. Il est agent de l’État, sous le statut général de militaire, avec « des droits et des devoirs ».

Une fois affecté à l’une des trois armées, au secrétariat général pour l’administration ou en Gendarmerie nationale, l’athlète continue de s’entraîner au sein de sa structure : club, Insep1, pôles de haut niveau… Chaque mois, il ou elle transmet son calendrier d’activité au bataillon. « À l’entraînement, en compétition, il est en position de service. » Le sportif doit se montrer « fier d’être militaire ». Chacun est parrainé par une unité militaire. Et chaque année, il est évalué, selon ses résultats sportifs, son comportement aux stages militaires, sa communication, sa réponse aux sollicitations. En fonction de ses performances, il peut passer sous-officier, ou agent de catégorie B pour les sportifs paralympiques.

1 Institut national du sport, de l’expertise et de la performance.

Des sportifs du bataillon de Joinville lors d’un rassemblement militaire © Florian Szyjka/Dicod/Ministère des Armées

Un engagement réciproque

Les contrats, en général de deux ans, sont renouvelables. « On en fait des pros, payés pour exercer leur sport », résume le commandant Lebrun. En retour, les armées attendent « un affichage, un rayonnement ».

L’Armée de champions regroupe ces athlètes du bataillon, auxquels s’ajoutent les sportifs de haut niveau issus des rangs militaires : ceux qui, dans leurs unités, ont gravi les échelons à travers les compétitions de sport militaire et ont été reconnus sportifs de haut niveau par le ministère des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques. Les équipes de France militaires (EFM), composées de militaires employés dans les unités des trois armées, des services et de la Gendarmerie nationale, sont aussi renforcées par les sportifs de l’Armée de champions lors des compétitions militaires internationales. Les entraînements de ces équipes se déroulent partout en France, comme en ce petit matin d’avril, au Bouloc Skydive, une école de parachutisme nichée dans les collines du Tarn. Huit heures du matin, les mines sont grises, imitant la couleur des nuages bas : « Il nous faut 900 à 1 000 mètres de visibilité, y a pas… Ça va peut-être se lever, mais c’est chargé d’eau. » Dans la journée, à chaque percée de ciel bleu, les candidats au saut trottinent vers le Pilatus PC-62 qui lance son monomoteur pour les larguer au-dessus de la cible. Charge à eux de taper du talon un cercle de deux centimètres de diamètre, malgré les turbulences retorses à l’approche du sol.

La discipline de précision d’atterrissage ne fait pas partie des épreuves olympiques, mais elle nécessite un sacré savoir-faire. À ce jeu, les spécialistes se démarquent vite. Comme l’adjudant-chef (Air) Thomas Jeannerot, 40 ans. Il saute depuis ses 15 ans et il a vite compris que, pour progresser, il n’aurait qu’un moyen : s’engager. En 2011, ce mécanicien télécoms intègre l’équipe de France militaire. Depuis 2014, il appartient au BJ. Détaché à plein temps auprès de sa fédération, il vit à Gap (Hautes-Alpes), auréolé d’un palmarès étincelant de champion et de recordman du monde. « Tous les ans, il y a une remise en question, avec les évaluations, dit-il. Mais j’ai une chance extraordinaire d’avoir fait cette carrière. L’armée tient son rôle social. Et, sans elle, la France ne serait pas aussi bien représentée sur le plan sportif. » En octobre, après 25 ans de haut niveau, il changera de vie pour se reconvertir dans l’industrie aéronautique et reprendre des études.

À ses côtés, Mathieu Guinde, 31 ans, casquette décorée d’une girafe marquée « High », ne pense pas à raccrocher, loin de là. « Il faut au moins dix ans pour atteindre un podium de championnat du monde, alors… » Mathieu Guinde a d’abord travaillé six ans dans un cabinet d’experts comptables. Il bénéficie de 60 jours supplémentaires de congés pour s’entraîner (400 sauts par an en moyenne) et participer aux compétitions. Mais cela ne suffit pas. Il signe d’abord un contrat de réserviste, puis il franchit le pas en 2019 comme soldat dans l’armée de Terre. Il lui faut deux ans pour intégrer le BJ : « J’ai dû gagner deux championnats du monde. Et quand on y est, il faut continuer à performer. » Aujourd’hui sergent, le champion du monde 2022 constate : « Notre chance, c’est qu’on a des périodes de repos et l’esprit tranquille. Plus de confort, ça veut dire un gain de niveau. Quand tu travailles, tu reviens le dimanche soir de compétition et, le lundi matin, tu es au boulot. »

Entre ces deux profils, Mathieu le civil venu à l’armée et Thomas le militaire sportif, le major Olivier Menanteau, conseiller technique militaire du parachutisme, ne fait pas de différence. « On représente le même drapeau. Quand on se met en tenue, c’est la même équipe. » Pour le conseiller technique militaire, pas de haut niveau possible à mi-temps, « Il faut un engagement à 150 %. » Ses « poulains » doivent 25 jours par an à l’armée, mais « pas pour monter la garde ». Ils passent des journées d’acculturation et de formation militaire dans certaines unités, « tout le monde joue le jeu. »

2 Le Pilatus PC-6 est un avion de transport léger.

De militaire à sportif de haut niveau

Olivier Menanteau a, lui aussi, été d’abord militaire, puis sportif. Parachutiste, issu de l’École des troupes aéroportées, passé par le 35e régiment d’artillerie parachutiste de Tarbes, il a commencé la compétition sportive à 34 ans. Aujourd’hui, son souci de CTM est simple : recruter. « On manque d’effectifs. Certains partent en retraite. Il faut tout le temps chercher de nouveaux talents. » Pour cela, dans les 28 disciplines où elles sont présentes, les 41 EFM et les championnats nationaux servent de vivier. « Le niveau est très élevé, explique le chef de bataillon Nicolas, directeur technique des sports militaires. Et les places y sont chères. »

Parmi les disciplines, le rugby rassemble le plus gros effectif, rien d’étonnant pour un sport dont les valeurs, comme la combativité ou la discipline, collent à celles des armées. Mais il existe aussi une équipe de France militaire de… golf. D’autres disciplines, comme le handball, sont « en construction. On fait un travail de fond, de détection. » Le rôle des EFM dépasse les exploits sportifs : celles-ci constituent un « vecteur de rayonnement et d’accroche diplomatique » grâce aux compétitions internationales militaires. « En opération comme en sport, l’objectif final, c’est la victoire, explique le chef de bataillon Nicolas. Mais le sport, ce n’est pas la guerre. Il permet des contacts avec des nations qui ne pourraient avoir lieu nulle part ailleurs. »

Quand le sport trompait l’ennui dans les tranchées

Le Conseil international du sport militaire (CISM), sorte de CIO3 des armées, revendique « l’amitié par le sport ». Personne n’est dupe : il peut y avoir des arrière-pensées, chaque Nation cherchant à développer un « soft power » à travers les compétitions internationales. À commencer par la France, « l’une des trois meilleures nations mondiales » en sport militaire, assure le chef de bataillon.

Pour en arriver là, notre pays a dû combler son retard. Car la condition des troupes n’était pas fameuse, en 1870. La défaite a été en partie attribuée « au mauvais état physique de l’ensemble de l’armée française », écrit l’ancien professeur d’EPS et historien Michel Merckel4. En 1880, Jules Ferry rend la gymnastique obligatoire à l’école ; les militaires sont chargés de l’enseigner, forts de leur expérience à l’École normale militaire de gymnastique, créée en 1852 à Joinville-le-Pont. Ainsi, sport et armées apprennent à naviguer de concert.

3 Comité international olympique.

4 14-18, le sport sort des tranchées. Un héritage inattendu de la Grande Guerre. Éditions Le Pas d’oiseau, 2013. Lire également : Le Petit Quizz : sport militaire, par Cyrille Becker. Éditions Pierre de Taillac, 2023.

Des sportifs sur le départ avant l’épreuve de saut d’obstacles à Joinville-le-Pont, en 1916. © Amédée Eywinger/ECPAD/Défense

Pendant la Première Guerre mondiale, les soldats pratiquent le sport comme dérivatif pour tromper l’ennui dans les tranchées. Et le système se structure. À Commercy (Meuse), le « Poilu’s Park » combine, à 20 kilomètres du front, cyclisme (dans un vélodrome), natation, escrime, boxe et athlétisme. S’y déroulent des matchs de football « entre Poilus et Tommies », voire un championnat de « lancement du calendrier » où les grenadiers excellent. En 1916, le journal L’Illustration s’enthousiasme : « Comment on entretient le moral d’un corps d’armée. » L’état-major découvre les bienfaits du sport, inspiré par l’exemple des Britanniques, très en avance en la matière. « Le soldat s’ennuie ; il faut le distraire », écrit Le Voltigeur en 1917. « Poilus, faites-vous une poitrine solide et des muscles puissants, c’est encore une façon de bien servir la France », suggère La Musette en 1918.

Cette année-là, un premier championnat de France militaire de cross-country a lieu. En 1919, Paris accueille les premiers « Jeux interalliés », olympiade du sport militaire. En 1920, le soldat Joseph Guillemot devient champion olympique sur 5 000 mètres. La Grande Guerre a été « au service du sport », écrit Michel Merckel, un « élément déclencheur » pour sa diffusion dans les classes populaires.

Pendant ce conflit, les prisonniers de guerre en Allemagne faisaient également du sport, comme l’attestent des images où on les voit s’exerçant dans un camp, au sud de Berlin. Professeur au lycée Édouard Gand, à Amiens, Louis Teyssedou les a retrouvées récemment, avec ses élèves. Elles sont l’œuvre d’un officier prussien, Otto Stiehl. Parmi ses clichés, des activités d’athlétisme (triple saut, perche, course) et de lutte. Soutenu par la Direction de la mémoire, de la culture et des archives du Secrétariat général des armées, l’enseignant en a tiré une exposition, montée début 2024 à Amiens, puis aux Invalides.

Des sportifs de l’Armée de champions en immersion au sein du 21e régiment d’infanterie de marine. © Florian Szyjka/Dicod/Ministère des Armées

De blessé à champion

Autre découverte : « On y voit que le sport peut servir dans le protocole du soin », indique Louis Teyssedou. À l’école de Joinville, Le Miroir rapportait « des courses d’éclopés ». Car avec le sport, on rééduque des blessés pour former une autre sorte de champions, comme Pierre-Mickaël, 30 ans, membre de l’EFM de boxe.

Exemple du renouveau par le sport, il combat depuis 2016 contre des valides, malgré ses prothèses de jambes, une malformation congénitale l’ayant fait naître en situation de handicap. « Quand je monte sur le ring, il y a toujours un gros silence parmi les spectateurs quand ils voient mes prothèses », explique-t-il. Dès les premiers uppercuts, tout le monde comprend : boxeur comme les autres, mais unique en son genre. Au premier match, il a mis son adversaire KO. « C’est la boxe », plaisante cet infirmier dans le civil, fort de 20 combats dans la classe élite. Pierre-Mickaël, qui a signé un contrat de réserviste, remercie « mille fois l’armée. C’est magique. » Au Japon, l’un des idéogrammes de « handicap » peut aussi se lire « contourner la pierre », explique-t-il. Avant d’ajouter : « Ce qui est difficile, ce ne sont pas les prothèses, mais les épreuves de la vie. » Il portera la flamme olympique à Paris le 25 juillet.

Par Michel Henry

Dossier spécial JO de Paris : une Armée de champions

Retrouvez notre dossier complet consacré aux Jeux olympiques de Paris où les sportifs de haut niveau de la défense contribueront à la récolte de médailles. Découvrez ce bataillon d’athlètes appartenant à l’Armée de champions et plus largement au sport militaire.

Voir le dossier

Contenus associés