« Le sport est dans l’ADN des forces armées »

Direction : Ministère des Armées / Publié le : 17 juillet 2024

Bon nombre des futurs médaillés français durant les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) seront vraisemblablement militaires. Cette « Armée de champions » rapporte en effet bien des titres à la France. Au-delà de cet aspect « visible », le sport militaire constitue la première brique de la préparation opérationnelle de nos soldats. Entretien avec le général Paul Sanzey, commandant du Centre national des sports de la défense (CNSD) et commissaire interarmées aux sports militaires.

général Paul Sanzey, commandant du CNSD et commissaire interarmées aux sports militaires © Ministère des Armées

Cet entretien est tiré d’Esprit défense n°12.

Que représente la contribution des armées pour le sport français ?

Général Paul Sanzey : Les armées ont apporté 50 % des médailles olympiques françaises depuis la création du bataillon de Joinville en 1956, 54 % des médailles d’or paralympiques et 50 % des médailles d’or olympiques aux JO de Tokyo en 2021, pour 14 % de militaires présents dans la délégation française. Elles assurent une présence continue dans les sports hivernaux avec, par exemple, les exploits du sergent Cyprien Sarrazin[1] en ski alpin ou de l’équipe de France de biathlon féminine[2]. En 2023, la France était championne du monde militaire en football et en rugby féminin et masculin. On est présent dans 29 disciplines sportives. C’est la partie des sports militaires « visible » du grand public.

Et l’« invisible » ?

La partie « invisible » concerne la dimension formation et entraînement, qui permet à un jeune engagé de répondre aux exigences de son métier. Il peut ainsi absorber la formation technique ou tactique. On n’imagine pas un marin, un pilote de chasse ou un terrien assumer une mission de guerre sans une solide condition physique. Le sport, c’est la base de la formation militaire. Sa pratique quotidienne, voire biquotidienne, est l’ADN des forces armées, la première brique pour la préparation opérationnelle. Certains, ensuite, s’appuient sur des pratiques plus exigeantes – parachutisme, ski hors-piste, sports de combat… – afin d’acquérir un savoir-faire technique.

Qu’est-ce que les JOP vont apporter aux armées ?

Un challenge de plus et une occasion rêvée pour se faire connaître ! Dans la montée vers les Jeux, les carrières des athlètes militaires ou des militaires athlètes peuvent intriguer et attirer l’attention de jeunes éloignés des armées, mais épris d’engagement physique, d’aventures et, sans doute aussi, de règles.

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Qu’est-ce que les armées apporteront aux JOP ?

Outre une contribution considérable à l’organisation et à la sécurisation de l’événement, l’exemple concret d’une institution étatique qui se mobilise, avec détermination, pour un objectif national. Notre système militaire a fait la preuve de son efficacité, en 46 ans d’existence du bataillon de Joinville des appelés, en remportant 300 titres et 46 médailles olympiques, et en installant cette unité dans la légende du sport français. Dans l’organisation même des JOP, l’équitation militaire apportera un soutien direct au pentathlon moderne et à la conduite de cross à Versailles.

Qu’est-ce qui rend les armées légitimes à s’occuper de sport ?

Cette légitimité est triple : historique, opportuniste et logique. Historique, car les armées françaises sont les premières à avoir créé une école de gymnastique en 1852, à Joinville-le-Pont. Elle formait en même temps les moniteurs de sport militaire et les professeurs d’éducation physique. Ce lien avec l’enseignement, la jeunesse et le sport n’a pas varié depuis. L’opportunité, ensuite : entre les périodes fastes, le sport français a connu des périodes de déclin. En 1919, les Jeux interalliés révèlent la fragilité des entraînements de haut niveau des Français, en comparaison de leurs homologues américains : le sport est relancé sur des bases dirigistes, avec l’apport des moniteurs de sport militaire. En 1960, après l’échec des JO de Rome, le chef de l’État confie au colonel Marceau Crespin, commissaire aux sports militaires, la réorganisation de l’Insep[3], qui va devenir cette pépinière de champions que l’on connaît. Dans les moments de doute, le sport français sait faire appel aux armées, qui répondent présentes.

Et la troisième légitimité ?

Elle est logique. L’ensemble des militaires s’acculturent au sport en vue du combat, puis ils produisent l’élite du sport militaire. Certains d’entre eux rejoignent l’Armée de champions. Une dizaine de sous-officiers et de militaires du rang sont inscrits sur les listes de sportifs de haut niveau du ministère des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques. Les armées ont acquis une légitimité incontestée dans le sport, qu’il s’agisse de formation, de réathlétisation[4] et d’expertise.

Un bon sportif fait-il un bon militaire ?

Oui. Un bon sportif admet les règles extérieures, il analyse les risques et la puissance de l’adversaire, et il va au bout de la compétition comme on va au bout de sa mission. Je retrouve chez les sportifs et les militaires la même détermination, la même générosité, l’esprit d’équipe, ainsi que les mêmes compétences générales : vigilance, capacité à communiquer en groupe, endurance, résistance au stress.

Les tensions internationales (guerre en Ukraine, au Proche-Orient) imposent-elles de changer l’entraînement des militaires ?

Le contexte de la guerre en Ukraine ne modifie pas radicalement l’entraînement physique, mais il souligne l’exigence de rusticité et de forces morales. Pour tous les combattants, la dimension psychologique et l’esprit de corps sont à travailler, notamment avec les techniques Orfa[5] : une préparation psychique avant la mission, de la concentration pendant et un débriefing ensuite.

Des techniques utilisées dans le sport ?

Peut-être même que le sport s’est inspiré de techniques militaires, dans la gestion du stress et du mental, qui font un combattant pugnace et résistant. On parle beaucoup du stress post-traumatique. Les techniques Orfa visent à le prévenir ou le réduire. Notre formation est la plus holistique possible ; avec un accent sur la nutrition, le sommeil, les mécanismes biologiques du corps, la compréhension du cerveau. Au CNSD, nous formons ou recyclons ainsi 1 000 moniteurs par an. Ils prodiguent ensuite l’entraînement physique militaire et sportif pour les 350 000 militaires des trois armées et de la Gendarmerie nationale.

Le sport sert-il aussi à la reconstruction des blessés ?

Oui. Le CNSD est la tour de contrôle de ces pratiques proposées par les cellules d’aide aux blessés. Chaque année, 700 d’entre eux viennent s’y ressourcer pour des stages de quelques heures à une semaine. Un « village des blessés » verra le jour en février 2025 dans le camp Guynemer, à Fontainebleau, pour les accueillir avec leurs familles, dans une trentaine de bungalows offrant 100 lits.

Quelle est, parmi les personnes accueillies, la part des blessés psychologiques ?

Elle tend à supplanter les blessés physiques, pour deux raisons. Primo, des opérations de plus en plus dures marquent de façon massive nos soldats et les gendarmes. Secundo, les grands blessés physiques sont souvent fragilisés aussi sur le plan psychique. Tous nous disent que la reconstruction par le sport, la reprise d’activité, l’accès à la compétition pour certains, ouvrent à nouveau le champ des possibles, pour eux et pour leurs familles.

Le sport militaire se déploie aussi via le Conseil international du sport militaire (CISM)…

En 1948, le commandant Henri Dubrus a créé, avec quatre nations européennes, le CISM, une association devenue le CIO des militaires. S’y retrouvent 141 armées du monde. Sa devise : « L’amitié par le sport ». Une création assez « coubertinienne ». Organiser des compétitions avec des alliés permet aussi de mieux se comprendre, y compris dans le cadre des opérations : c’est un pas vers l’interopérabilité.

… Et de côtoyer des nations plus distantes ?

Le championnat du monde militaire de sauvetage sportif organisé en mai en France accueillait la Chine et le Brésil. Le sport militaire permet de conserver le lien, voire de passer des messages de puissance, de détermination, de présence dans une aire d’influence. Ainsi, en rugby à XV, sur les nations de l’ovalie invitées par la France au championnat du monde militaire en août et en septembre 2023 en Bretagne, cinq nations venaient du Pacifique : Australie, Nouvelle-Zélande, Japon, Tonga, Fidji.

L’esprit de Coubertin reste-t-il présent ?

Au fronton de nos états-majors qui travaillent sur l’entraînement, on pourrait inscrire : « Le sport va chercher la peur pour la dominer, la pratique pour la triompher, la difficulté pour la vaincre. » Une maxime pour nos camarades valides autant que blessés. Et, à tous les jeunes officiers, je rappellerai la devise inscrite dans le gymnase du CNSD : « Voir loin, parler franc, agir ferme. »

Quelle est la suite pour l’Armée de champions après les Jeux ?

Pour les Jeux de 2024, le ministère des Armées a augmenté l’effectif jusqu’à 224 athlètes, dont 32 para-athlètes. Sauf que l’effort de 2024 est ponctuel. Après les JOP, la question se posera de revenir à un volume moins important. Le commissaire aux sports militaires que je suis choisira les disciplines qui apportent une plus-value aux armées. Celles qui mettent en valeur le lien avec les armées, l’effort de nos entraîneurs et de nos écoles militaires, celles qui jouent le jeu des équipes de France militaires… En clair, il faut valoriser l’effort des armées pour qu’il dure… Se rappeler que certaines disciplines doivent leur existence au BJ : Raphaël Poirée et Martin Fourcade ont fait du biathlon une discipline française ; il en va de même pour les biathlètes féminines.

Recueilli par Michel Henry

[1] Vainqueur des deux descentes de Kitzbühel sur la mythique piste la Streif, en janvier 2024.

[2] Elle réalise un quadruplé historique lors des championnats du monde 2024.

[3] L’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance est un centre d’entraînement et de formation pour les sportifs de haut niveau, situé à Paris.

[4] Parcours de préparation à la reprise du sport après une période d’arrêt de l’entraînement pour cause de blessure, par exemple.

[5] Optimisation des ressources des forces armées. Cette méthode regroupe des techniques cognitives, physiologiques, émotionnelles et comportementales à base d’exercices de respiration, de relaxation et d’imagerie mentale.

Dossier spécial JO de Paris : une Armée de champions

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