Diplomatie de défense : entretien avec le lieutenant-colonel Frédéric C., attaché de défense français en Estonie.

Direction : DGRIS / Publié le : 31 juillet 2025

Rencontre avec le lieutenant-colonel Frédéric C., attaché de défense près l’ambassade de France en Estonie, qui nous éclaire sur son travail et ses missions au sein de la mission de défense de Talinn. La DGRIS assure la tutelle du réseau bilatéral diplomatique de défense, qui comprend aujourd’hui 93 missions près les ambassades de France à l’étranger.

Frédéric C., attaché de défense français en Estonie © DGRIS

La mission de défense (MDD) à Tallinn a été créée en 2022 suite au renforcement de la relation de défense franco-estonienne dans le cadre du partenariat stratégique signé en 2020. Quels impacts cela a-t-il eu sur les enjeux de défense entre la France et l’Estonie ? Et quels sont-ils ?

Le début de l’agression russe en Ukraine a profondément marqué la société et les autorités estoniennes. C’est dans ce contexte qu’a été créée la MDD à Tallinn, en juillet 2022. Cette initiative a eu un écho tout particulier auprès de notre partenaire estonien.

Parallèlement, la France a décidé de rendre permanente la présence de ses troupes en Estonie. Jusqu’alors, depuis 2017, celles-ci n’étaient présentes que de manière biannuelle, ce qui apportait peu de visibilité à notre partenaire. La création de la MDD et la pérennisation de notre présence militaire ont donc été perçues comme un signal fort de solidarité stratégique et d’engagement de la France en Estonie.

En réponse à l’agression russe et aux conclusions du sommet de l’OTAN à Madrid, l’Estonie a engagé une réforme en profondeur de son dispositif de défense : création d’une division de combat et acquisition de capacités de frappe en profondeur.

Dans ce contexte, la MDD a pour mission principale de renforcer le partenariat stratégique entre Paris et Tallinn, d’accompagner la mise en œuvre de ces réformes et de développer une coopération interarmées plus étroite, dans un cadre de redéfinition des plans de l’OTAN.

Concrètement, ce soutien s’est traduit par :

- La présence d’insérés français au sein de la nouvelle division de combat estonienne, qui regroupe deux brigades estoniennes et une brigade britannique d’alerte stationnée au Royaume-Uni.
- La projection d’un peloton Caesar, en réponse au don par l’Estonie de son artillerie tractée à l’Ukraine,
- Une participation accrue de nos forces aux grands exercices de synthèse menés par les Estoniens.


Les autorités estoniennes ont salué ces contributions, qui ont renforcé la visibilité et le poids de la France dans le paysage stratégique estonien, aux côtés du Royaume-Uni et des États-Unis.

Sur le plan de l’influence, la création de la MDD a permis de tisser un réseau actif avec les autorités politiques et militaires locales. Cela a aussi favorisé la mise en place d’une série de partenariats contribuant à la visibilité et au rayonnement de la France auprès de la société civile estonienne.


Le 24 février 2025, le ministre des Armées s’est rendu en Estonie à l’occasion de la fête nationale estonienne. Quelles ont été les conséquences de cette rencontre sur la relation de défense franco-estonienne ?

La visite du ministre des Armées était attendue de longue date par les autorités estoniennes. Organisée à l’occasion des commémorations de l’indépendance, elle a comporté un volet bilatéral et un volet multilatéral.

Dans un premier temps, le Ministre a assisté au défilé militaire sur la place de l’Indépendance à Tallinn, où étaient présentes nos troupes. Il a également échangé avec les militaires français sur leurs conditions de vie et leur perception de la mission en Estonie.

Dans un second temps, il s’est entretenu avec son homologue estonien sur les questions de sécurité et de coopération bilatérale, notamment dans les domaines de l’intelligence artificielle et de la cybersécurité, où l’Estonie fait figure de référence.

Enfin, les deux ministres ont co-présidé une visioconférence stratégique réunissant les pays du E5 (France, Allemagne, Italie, Pologne, Royaume-Uni), du NB8 (Danemark, Estonie, Finlande, Islande, Lettonie, Lituanie, Norvège, Suède), ainsi que l’Ukraine, les Pays-Bas, l’Union européenne et l’OTAN.

Les États participants ont réaffirmé leur volonté de poursuivre le dialogue avec les États-Unis, tout en soulignant la nécessité de renforcer la coordination entre Européens, tant sur le soutien à l’Ukraine que sur la question des garanties de sécurité.


Qu’est-ce que la présence militaire permanente de la France en Estonie a impliqué pour votre travail d’AD et pour la MDD à Tallinn ?

En réaction à l’agression russe contre l’Ukraine, la France a décidé de pérenniser la présence de ses forces armées à Tapa, au sein du bataillon multinational britannique, dans le cadre des missions de réassurance de l’OTAN. Cette décision, ainsi que le soutien affirmé de la France à l’Ukraine, ont considérablement renforcé la visibilité et l’influence françaises en Estonie, dans un environnement jusque-là marqué par une forte présence anglo-saxonne (États-Unis, Royaume-Uni, Danemark).

La présence de 350 soldats français sur le territoire estonien, souvent renforcée ponctuellement (par exemple avec une compagnie d’infanterie légère déployée pendant 4 mois pour des interactions bilatérales avec la Ligue de défense), attire de nombreuses autorités politiques et militaires françaises en Estonie.

Au quotidien, l’une des missions de la MDD consiste à organiser, en coordination étroite avec les autorités estoniennes, des programmes sur mesure pour les généraux, responsables politiques, parlementaires et délégations académiques (IHEDN, CHEM), afin de répondre à leurs besoins d’étude et de comparaison dans des domaines variés : commandement, cyberdéfense, budgets, conscription, réserves, etc. Ces visites donnent lieu à la rédaction de rapports et de recommandations à destination des autorités prescriptrices françaises.


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