Aurore d’Hondt : « Le combat de Ginette Kolinka est de transmettre, pour que ce qu’elle a vécu ne se reproduise jamais »
ENTRETIEN – Lauréate du Prix Jeunesse des Galons de la BD 2024, l'étudiante brestoise publie la bande dessinée « Ginette Kolinka, récit d'une rescapée d'Auschwitz-Birkenau », coéditée par le ministère des Armées, parue en janvier 2023 aux éditions Des ronds dans l’O. Un témoignage poignant à destination de la jeunesse.
Aurore d’Hondt, vous êtes l’auteure de la bande dessinée « Ginette Kolinka, récit d'une rescapée d'Auschwitz-Birkenau ». Elle retrace le parcours de Ginette Cherkasky, déportée dans le camp de concentration et d'extermination d’Auschwitz-Birkenau, seule survivante de sa famille. Comment tout a commencé ?
Aurore d’Hondt : À l’origine il s’agissait d’un projet scolaire. J’étais en première année d’école d’ingénieur, en classe de prépa intégrée. Chaque année, Ginette Kolinka venait témoigner dans notre école auprès des premières années. À l’occasion de sa venue, nos enseignants nous ont proposé de réaliser un projet en amont pour lui rendre hommage : nous avions carte blanche. L’idée de retranscrire son témoignage en dessin m’est venue très naturellement. Je dessine depuis longtemps, c’est une véritable passion. D’autres élèves de ma promotion ont conçu des sites web retraçant son histoire, codé de petites applications…
Quatre projets (dont celui de mon groupe) ont été retenus pour être exposés au mémorial des Finistériens au Fort Montbarey, à proximité de notre établissement. Cette exposition a été l’occasion pour Madame Kolinka de découvrir notre travail. C’est là que je l’ai rencontrée pour la première fois : elle a regardé mes dessins et m’a adressé ces mots que je n’oublierai jamais. Elle m’a félicitée pour mon travail, cela a été un déclic. J’ai pensé qu’il serait vraiment dommage que ce projet s’arrête là, comme un simple devoir scolaire. Passionnée de dessin et d’écriture, rêvant secrètement d’être publiée un jour, je me suis dit : s’il y a bien une histoire pour laquelle j’aimerais être publiée, c’est celle de Madame Kolinka. Je me suis donc lancée dans ce projet pour retracer l’histoire de sa déportation.
De quoi le témoignage de Ginette Kolinka est-il porteur ?
Le témoignage de Ginette Kolinka porte un message extrêmement fort : celui de la tolérance. Il peut se résumer en une seule phrase, qui revient d’ailleurs à la fin de chacune de ses interventions, notamment dans les établissements scolaires : « Voilà où mène la haine. » Elle répète cette phrase à chaque fois avec une force incroyable. Cela ne sert à rien de haïr l’autre parce qu’il est différent, parce qu’il a une couleur de peau différente, une religion différente. Elle le sait mieux que personne, elle qui a connu cette haine dans sa forme la plus extrême. C’est pour cela que son témoignage est si précieux, si puissant. À l’heure actuelle ce message résonne plus que jamais. S’il y a bien une personne qui a la légitimité, la force et la sagesse pour nous rappeler à quel point il est essentiel, c’est elle.
Vous avez rencontré plusieurs fois Ginette Kolinka pour votre projet. Racontez-nous. En quoi ces entrevues ont-elles été utiles dans la préparation de l’ouvrage ?
Ces discussions, extrêmement précieuses, ont joué un rôle essentiel dans le processus créatif. Elles m’ont permis d’obtenir des précisions sur certains passages de son histoire et des anecdotes que je n’avais pas forcément entendues lors de mes recherches. J’ai réalisé cette bande dessinée en parallèle de mes études et Ginette, elle aussi, a un emploi du temps très chargé — presque celui d’un ministre ! Il était compliqué de se voir régulièrement. Sur les quatre années qu’a duré la création de la BD, nous nous sommes vues deux fois par an : je lui montrais où en était le projet, elle me donnait son avis, ses suggestions, ses corrections. Même si ces rencontres étaient rares, elles étaient indispensables. Je n’envisageais pas écrire une bande dessinée sur son histoire sans avoir son regard.
Qu’est-ce qui vous a particulièrement marqué chez elle ?
Sa joie de vivre. C’est une femme rayonnante, souriante, positive, à l’humour décapant. Elle dégage une énergie incroyable. C’est frappant quand on sait ce qu’elle a traversé et l’horreur de son histoire. Si on ne voit pas son tatouage des camps (le matricule 78599, ndlr), on a du mal à imaginer qu’elle a été déportée à 19 ans. C’est, je pense, ce contraste entre l’horreur de ce qu’elle a vécu et la force de vie qu’elle dégage aujourd’hui qui marque le plus. C’est aussi cela qui rend son témoignage si puissant.
Beaucoup de parcours de résistants et de résistantes sont édités sous la forme de romans ou de biographies. Quelle a été votre démarche en faisant le choix de la bande dessinée ?
Lorsque j’ai débuté ce projet à 19 ans, je ne me suis pas vraiment posé la question du format pour raconter l’histoire de la déportation de Ginette. Mes choix étaient spontanés. Très naturellement, je me suis tournée vers la bande dessinée : d’une part parce que notre rencontre s’est faite autour du dessin, d’autre part parce que tout s’est enchaîné de manière instinctive. Je ne me suis jamais arrêtée pour me demander : et si j’en faisais plutôt un roman, un essai, ou autre chose ? Le dessin était une évidence. Avec le recul, je pense que mon jeune âge a aussi contribué à cette spontanéité.
Vous avez remporté le Prix Jeunesse des Galons de la BD en 2024 pour cet ouvrage. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Je dirais qu’il représente davantage quelque chose pour Ginette que pour moi. Ginette n’a de cesse de témoigner auprès des jeunes générations : collégiens, lycéens… c’est à eux qu’elle s’adresse. Son combat est de transmettre, faire en sorte que son histoire continue à vivre pour que ce qu’elle a vécu ne se reproduise jamais. Le fait que cette bande dessinée ait reçu un prix jeunesse montre que son témoignage, à travers le dessin, a trouvé un écho auprès de cette jeunesse qu’elle souhaite sensibiliser et qu’elle cherche à atteindre depuis toujours. Cela doit être, je le pense, une vraie fierté de voir son histoire continuer à toucher les cœurs, éveiller les consciences. Si ma bande dessinée a pu y contribuer ne serait-ce qu’un peu, c’est la plus belle des récompenses.
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