Sophie Degano : « Les femmes résistantes : toutes différentes, unies dans la détermination »
ENTRETIEN – L’artiste plasticienne expose des portraits de femmes résistantes au Service historique de la Défense dans l’exposition "Combattantes", du 9 mars au 6 avril. Pour elle, ces femmes sont toutes différentes mais unies par un point commun essentiel : une détermination sans faille, au-delà de leurs origines socio-professionnelles extrêmement variées.
Propos recueillis par Marguerite Silve Dautremer.
Sophie Degano, vous allez exposer une partie de votre œuvre « Grâce à elles » au Service historique de la Défense, du 9 mars au 6 avril. Comment la relation avec le ministère des Armées s’est-elle instaurée ?
Sophie Degano : En juillet 2023, le ministère des Armées m’a contactée par le biais d’Arnaud Papillon et de Bérénice Valckenaere de la Direction de la mémoire, de la culture et des archives (DMCA). Ils souhaitaient mettre en quatrième de couverture mon portrait de Danielle Casanova pour le hors-série « Combattantes » de leur revue Chemins de Mémoire. Nous avons discuté, puis peu à peu en sommes venus à l’idée de cette exposition de femmes combattantes dans le cadre de la Journée internationale des droits des femmes, cela coulait de source.
Comment avez-vous sélectionné les neuf figures féminines mises en avant dans l’exposition ?
S.D : Ces neuf portraits de femmes (Émilienne Moreau-Évrard, Rose Valland, la comtesse Leïla du Luart, Aimée Lallement, Joséphine Baker, Danielle Casanova, Lucie Aubrac, Jeanne Bohec, Geneviève de Gaulle-Anthonioz) sont issus de mon exposition « Grâce à elles » dévoilée en 2014 et du livre éponyme, qui présentent 60 portraits de femmes ayant vécu entre les XIIe et XXe siècles. Parmi toutes ces figures féminines aux profils extrêmement variés (artistes, femmes de lettres, scientifiques …) il y avait des femmes résistantes. Le ministère en a retenu neuf. Cette sélection sera exposée au Service historique de la Défense, mais d’autres femmes résistantes y auraient eu leur place comme Claude Cahun. Artiste surréaliste et photographe, elle fait acte de Résistance avec sa compagne Suzanne Malherbe (alias Marcel Moore) pendant l’occupation allemande de Jersey, où elles résident. Elles rédigent et distribuent des tracts en allemand en direction de la Wehrmacht, signés du Soldat sans nom.
Danielle Casanova
Pourquoi est-il important de mettre en lumière, aujourd'hui, la contribution des femmes dans la Résistance ?
S.D : Montrer la contribution des femmes et leur implication dans une société en guerre, en l’occurrence, la Seconde Guerre mondiale dans cette exposition, peut permettre aux jeunes générations de femmes et d’hommes de se sentir exister sur le même pied d’égalité. En mettant davantage en lumière le rôle qu’ont eu les résistantes, ces jeunes personnes peuvent voir que les femmes ont contribué, chacune dans leur rôle respectif à fonder la société « de demain ». J’ajoute que quelque part, nous, femmes et hommes sommes fiers de ce qu’elles ont accompli. Il serait dommage de ne pas les faire découvrir au grand public.
Comment expliquez-vous le peu de place que la participation des femmes occupe dans l’histoire de la Résistance ?
S.D : Peut-être que les femmes ne revendiquaient pas vraiment leurs actes. À part quelques-unes, cela restait relativement rare. De surcroît, une fois la guerre terminée, elles retournaient la plupart du temps à des tâches ménagères classiques, le foyer, les enfants. Pourtant leur rôle dans la résistance est bien réel et a, à bien des égards, contribué à inverser le cours de la guerre. Elles ont combattu et défendu leur pays mais cela n’a pas été valorisé. Cela étant, le comportement des femmes a beaucoup changé depuis quelques années. Nous les valorisons davantage et, surtout, elles se mettent elles-mêmes davantage en avant.
Ces femmes résistantes sont issues de milieux socio-professionnels très différents : scientifiques, sportives, artistes, femmes de lettres, aventurières, femmes d’affaires … quel point commun les unit-elles le plus ?
S.D : La détermination. Toutes ces femmes, bien que complètement différentes et issues de milieux distincts, sont unies par cela. Il n’y a pas d’exemple type de femme mais une pluralité de profils.
Parlez-nous du processus créatif derrière vos illustrations de femmes résistantes ; quelles techniques avez-vous utilisées et pourquoi ?
S.D : J’ai utilisé la technique de la linogravure qui permet de reproduire les figures plusieurs fois. Chaque figure est reproduite sur du papier Velin d’Arches, en 25 exemplaires. L’idée derrière ce procédé était qu’un maximum de personnes puissent découvrir ou redécouvrir des portraits, tout en faisant circuler l’exposition dans plusieurs endroits. La linogravure permet d’obtenir cette souplesse dans les formes et une sobriété de la composition dans son ensemble. Les aplats de noir intenses obtenus pourraient représenter leurs combats. Le blanc, la liberté qu’elles s’offrent.
Comment votre exposition au SHD contribue-t-elle à faire évoluer la représentation des femmes dans une société en guerre ?
S.D : Je pense qu’exposer des portraits de femmes résistantes et de combattantes au sein des Armées est très positif et peut contribuer à faire évoluer les mentalités, de surcroît dans un environnement militaire plutôt masculin. Il en va de même pour les scolaires qui visitent l’exposition. Quand on montre aux élèves que des femmes se sont battues à travers des exemples concrets, comme Jeanne Bohec, jeune aide chimiste dans une poudrerie de Brest qui enseignait le sabotage aux résistants et leur apprenait à préparer des explosifs et des bombes incendiaires, cela peut aussi y contribuer.
Jeanne Bohec
Les luttes contemporaines (égalité femme-homme, lutte contre les discriminations notamment de genre…) vous paraissent-elles donner un prolongement à l’engagement de ces femmes ?
S.D : Oui, c’est un prolongement. De tout temps les femmes se sont battues en faveur de l’égalité des sexes, des droits des homosexuels, pour la protection des plus démunis, l’accès à l’emploi, le droit de vote, le droit à l’avortement, le droit au célibat… Je pense à Flora Tristan, femme de lettre, militante socialiste et féministe française qui allait visiter les prostitués dans les rues de Londres ou Olympe de Gouges, femme de lettres elle aussi, auteur de « La Déclaration de la femme et de la citoyenne » en 1791 et qui fait de la question de l’abolition de l’esclavage des Noirs le premier combat de sa vie. L’Abbé Grégoire, l’une des principales figures de la Révolution française, la mentionne parmi les précurseurs de l’abolition de l’esclavage en France. Je pense aussi à Danielle Casanova, militante et résistante communiste française. Elle fonde en 1936 (elle a alors 27 ans) l’Union des jeunes filles de France, avec pour objectifs la lutte contre le fascisme, la solidarité avec les républicains espagnols, le tout sur fond de féminisme et de pacifisme. Elle rejoint la résistance armée et sera déportée à Auschwitz, où elle mourra du typhus en 1943. De nos jours, les luttes menées par les femmes me semblent s’inscrire dans la continuité de cet engagement.
Quelle image cet engagement fort projette-t-il dans la société actuelle ?
S.D : Ces femmes, résistantes ou non, sont des modèles pour les nouvelles générations. Quand on voit leur détermination, leur opiniâtreté, - la force de leur conviction et leur courage, on ne peut qu’être inspiré par leur exemple. Je pense que d’une certaine manière on est obligé, non pas de prendre les armes, mais de s’engager. L’exemple de Danielle Casanova est extraordinaire. Alors qu’elle est emprisonnée au Fort de Romainville à la suite de son arrestation par la police française en février 1942, elle réussit à envoyer une lettre à sa famille. Elle écrit à sa mère qu’elle et ses compagnons d’infortune ont terriblement faim, qu’ils sont réduits à manger des trognons de choux jetés à la poubelle… en dépit de cela, son moral reste intact : « Comme toujours, ma santé et mon moral sont excellents. Mon courage et ma confiance sont très grands » ou bien « L'air est léger et l'espoir habite mon cœur ». On ne peut qu’être admiratif.
Quel message souhaitez-vous transmettre à travers ces représentations de femmes résistantes, en particulier aux jeunes générations ?
S.D : Je leur dirais de retenir cette détermination. Qu’il ne faut jamais abandonner ses idées, aller au bout de ce que l’on entreprend et ne pas avoir peur de s’engager pour les autres, à l’image de ces femmes.
*Sophie Degano est représentée par les galeries Lou Carter Paris et Mariska Hammoudi.
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