2003–2016 : les premiers pas de l’Europe de la défense, au service de la stabilité internationale
L’Union européenne aborde le XXIe siècle avec, pour ambition, l’avènement d’une Europe sûre dans un monde meilleur. L’UE s’affirme dans la sphère opérationnelle en déployant plus d’une vingtaine de missions de maintien ou de rétablissement de la paix. Mais, en dépit de ses efforts pour le renforcement du multilatéralisme, elle ne peut empêcher la dégradation de l’environnement international.
6 mai 2003 : la deuxième guerre du Congo est officiellement terminée depuis cinq mois, à la suite de la signature de l’accord de Pretoria. Conformément au traité de paix, l’armée ougandaise qui occupe le district de l’Ituri se retire du chef-lieu de Bunia. Aussitôt, la spirale des massacres interethniques reprend entre les milices rivales Lendu et Hema.
Les forces de la Mission de l’Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo (Monuc) sont dépassées. Le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, lance un appel à l’aide pour mettre un terme aux atrocités. Le 30 mai, le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (Onu) adopte la résolution 1484 qui autorise le déploiement d’une force multinationale intérimaire jusqu’au 1er septembre 2003.
Opération Artémis : une démonstration réussie de la capacité politico-militaire de l'Union européenne
Le 5 juin, le Conseil de l’Union européenne répond à l’appel de l’Onu et déclenche le lancement d’une opération militaire en République démocratique du Congo, dans le cadre de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD). La France est désignée « nation-cadre » de l’opération Artémis, qui se déroule à 6 500 kilomètres de Paris.
L’objectif de la mission consiste à rétablir les conditions de sécurité en attendant le renforcement du mandat et des effectifs de la Monuc.
Sur le terrain, la force européenne impose rapidement son autorité pour protéger les populations civiles et permettre la reprise des actions humanitaires. 60 000 personnes déplacées peuvent regagner leur foyer pendant les trois mois de l’opération. La sécurisation du périmètre permet également aux Organisations non gouvernementales (ONG) d’acheminer 380 tonnes de vivre et de médicaments. Le 1er septembre, la force européenne passe le relais à la Monuc, désormais dotée d’effectifs plus importants et d’un mandat plus large.
L’opération Artémis marque une étape fondamentale dans la construction d’une Europe de la défense. Il s’agit de la première opération militaire autonome de l’Union européenne (UE), menée sous l’autorité du Conseil de sécurité de l’Onu et en dehors du cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan).
Le chemin parcouru depuis l’accord de Saint-Malo est considérable. L’opération Artémis a démontré la capacité de réaction rapide de l’UE face aux situations d’urgence, ainsi que la solidité de ses structures politico-militaires.
Ce succès intervient quelques mois seulement après la mission EUFOR Concordia, qui visait à stabiliser l’Ouest de la Macédoine et à superviser la mise en œuvre de l’accord de paix d’Ohrid. L’UE avait alors mobilisé 350 soldats pour prendre la suite de l’opération otanienne Allied Harmony.
Si EUFOR Concordia a souligné la capacité de l’UE à contribuer pleinement aux missions et aux activités de l’Otan, l’opération Artémis démontre sa capacité à s’émanciper du cadre transatlantique pour agir.
Une stratégie pour la défense européenne à la hauteur des menaces émergentes
L’année 2003 marque donc la réalisation des objectifs fixés au Conseil européen de Cologne quatre ans plus tôt, en faveur d’une Europe de la défense autonome et complémentaire de l’Otan.
Le 12 décembre 2003, les États membres se retrouvent à Bruxelles pour adopter la stratégie européenne de sécurité. Le document a été rédigé sous l’autorité du Haut Représentant de l’UE pour la PESC, Javier Solana. Il identifie les principales menaces auxquelles l’UE doit faire face.
Une agression de grande envergure contre l’un des États membres est alors considérée comme hautement improbable, mais l’Europe sait qu’elle est confrontée à de nouveaux dangers plus variés, moins visibles et moins prévisibles.
Le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive, les conflits régionaux, la déliquescence des États et la criminalité organisée sont placés en tête des préoccupations.
Pour défendre sa sécurité et promouvoir ses valeurs, l’UE se fixe alors trois objectifs stratégiques. Le premier consiste à renforcer sa capacité de projection pour prévenir les crises et les conflits avant qu’ils ne dégénèrent : « Face aux nouvelles menaces, c’est à l’étranger que se situera souvent la première ligne de défense. » L’UE veut également contribuer au développement de la stabilité et de la sécurité à ses frontières, pour empêcher que des situations explosives ne s’y développent. Enfin, elle veut s’engager à renforcer l’organisation des Nations unies et un multilatéralisme efficace, en se déclarant prête à agir lorsque ses règles ne seront pas respectées.
Pour que l’UE soit à la hauteur de ces ambitions, le texte conclut sur la nécessité de se doter de capacités renforcées. Les États membres se fixent alors un double objectif, celui de dépenser plus pour leur défense mais également de dépenser mieux.
Une agence au service du développement des capacités militaires, de la recherche et de l'armement
La France, le Royaume-Uni et l’Allemagne proposent la création d’une agence intergouvernementale chargée du développement des capacités militaires, de la recherche et de l’armement. L’Agence européenne de défense (AED) voit le jour en 2004. Elle a pour mission de promouvoir la coopération européenne en matière d’armement et de renforcer la base industrielle et technologique de défense.
Les États membres voient aussi l’AED comme un instrument au service de la politique industrielle communautaire. Les technologies de défense pourraient parer au phénomène de désindustrialisation qui frappe l’ensemble du continent, compte tenu de leur caractère difficilement délocalisable.
En ces premières années du XXIe siècle, l’Europe de la défense a su répondre au défi de la crédibilité militaire. Elle s’est dotée d’une stratégie pour donner de la visibilité à son action. En nommant Javier Solana au poste de Haut Représentant de la politique étrangère et de sécurité commune de l’UE, elle a donné « un visage et une voix » à sa diplomatie. De plus, elle a mis en place une organisation, chargée de donner un véritable contenu à l’Europe de l’armement, à travers des projets industriels et scientifiques ambitieux.
L’objectif fixé par Javier Solana « une Europe sûre dans un monde meilleur » découle d’une évidence formulée par le même homme : « L’Union européenne est, qu’on le veuille ou non, un acteur mondial. Elle doit être prête à partager la responsabilité de la sécurité dans le monde. »
L’Europe de la défense est encore en développement, mais son lancement est un succès. Il s’est pourtant déroulé dans un contexte stratégique complexe.
Depuis le 11 septembre 2001, les États-Unis sont en guerre contre le terrorisme et ont regroupé leurs adversaires dans un « axe du mal ». Ils se sont engagés dans un vaste programme de modernisation de leur appareil militaire, au point que leur budget de défense est désormais supérieur à la somme des budgets de défense de tous les autres pays.
L’Europe partage le diagnostic sur les menaces liées au terrorisme et à la prolifération des armes de destruction massive, mais elle entend y apporter une réponse différente. D’autant que son centre de gravité et ses intérêts stratégiques sont en train de considérablement évoluer. Depuis le mois de mai 2004, l’UE compte 25 membres et près de 450 millions d’habitants. Le 1er janvier 2007, la Bulgarie et la Roumanie rejoignent l’UE et portent à 27 le nombre d’États qui la composent. Ce processus d’élargissement implique de nouveaux défis pour l’élaboration de la PESD. Un renforcement des institutions est indispensable pour éviter que l’Europe de la défense ne se trouve paralysée par un vote à l’unanimité impossible à obtenir.
Le traité de Lisbonne est élaboré pour permettre à l’UE de fonctionner dans le contexte nouveau d’une Europe élargie. La première grande évolution est d’ordre sémantique. La PESD est rebaptisée politique européenne de sécurité et de défense commune, afin d’insister sur l’objectif de défense commune.
Il crée un poste de président du Conseil européen avec un mandat de deux ans et demi, renouvelable une fois pour apporter de la cohérence et de la continuité dans les choix stratégiques.
Le traité de Lisbonne met également en place le Service européen pour l’action extérieure (SEAE), chargé de gérer les éléments civils et militaires dont dispose l’UE pour faire face aux crises. Ce service est placé sous l’autorité du Haut Représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, pour rassembler sous une même direction la diplomatie et les moyens d’action.
L’article 42.7 instaure un mécanisme de défense mutuelle en cas d’agression d’un des États membres sur son territoire. De même, le traité ajoute une clause de solidarité entre les pays en cas d’attaque terroriste ou de catastrophe naturelle. Dans cette situation, l’Union mobilise tous les instruments dont elle dispose pour porter assistance à l’État qui en fait la demande.
Enfin, le Traité prévoit l’établissement possible d’une coopération structurée permanente entre certains États. Elle s’adresse aux pays qui souhaitent développer leur coopération dans le domaine de la défense sans passer par le filtre du vote à l’unanimité.
Un contexte géopolitique bouleversé appelant à une plus grande autonomie stratégique européenne
L’Europe de la défense cherche à consolider ses acquis alors que la situation à ses frontières se dégrade dangereusement.
Au sud de la Méditerranée, les Printemps arabes basculent dans la guerre civile en Libye, au Yémen, en Syrie et en Irak. Le chaos facilite l’émergence de groupes armés non étatiques qui déstabilisent de nombreux pays, du Moyen-Orient jusqu’au Sahel. La crise provoque un afflux de réfugiés sur le sol européen, où des millions de personnes qui fuient les violences cherchent à trouver refuge.
Pour prévenir la déliquescence des États à ses frontières, l’UE s’engage dans le domaine de la formation des militaires étrangers. L’objectif est d’améliorer les compétences stratégiques des pays confrontés à des crises majeures, afin que leurs armées puissent rétablir la sécurité sur leur territoire. Une première opération est lancée en Somalie. 3 000 soldats somaliens sont formés de 2010 à 2013. L’Union renouvelle ce type de mission au Mali en 2013, puis en République Centrafricaine en 2016.
En février 2014, la situation se dégrade sur le flanc est de l’UE. La Crimée est occupée par des troupes « pro-russes non identifiées » avant d’être rattachée à la fédération de Russie, à la suite du référendum du 16 mars. Le résultat du vote n’est reconnu ni par l’Ukraine, ni par l’UE qui adopte une série de sanctions contre la Russie, tout en maintenant ouvert un canal de négociations, pour parvenir à une sortie de crise.
En 2015, l’UE est attaquée sur son sol au cours d’une série d’attentats revendiqués par Daech. Au lendemain, des attentats du 13 novembre, la France invoque l’article 42.7 du traité de Lisbonne qui comporte la clause de défense mutuelle. La décision est essentiellement symbolique, mais elle vise à exprimer l’unité des Européens face à la menace.
Enfin en 2016, deux scrutins tenus par-delà la Manche et l’Atlantique claquent comme un coup de tonnerre. Le Royaume-Uni engage sa sortie de l’Union après le référendum sur le Brexit, puis l’élection de Donald Trump fragilise la relation entre les États-Unis et l’Europe.
Progressivement, la montée des tensions dans les différentes régions du monde et le désengagement des États-Unis encouragent le développement d’une autonomie stratégique européenne. Les pays de l’UE doivent s’attacher à poursuivre leurs efforts en faveur d’une défense commune, pour affronter les épreuves que l’avenir leur réserve.
L’histoire de l’Europe de la défense
Pendant le mois de l’Europe, le ministère retrace l’histoire de l’Europe de la défense. A travers une web-série en quatre épisodes, de 1945 à aujourd’hui, découvrez comment s’est construite, au fil des années, notre défense européenne.
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