Au CIAE, en première ligne face aux fausses informations

Direction : Ministère des Armées / Publié le : 01 mars 2025

À Lyon, plus d’une centaine de cybercombattants luttent contre la propagande en ligne visant les armées françaises. Ils font partie du Centre interarmées des actions sur l’environnement (CIAE), une entité créée en 2012 pour « gagner la bataille des perceptions ». Plongée au cœur de cette unité aussi discrète qu’indispensable.

Depuis son poste, le capitaine Mélanie traque les attaques informationnelles. © SCH Christian Hamilcaro/Dicod/Défense

Article publié dans Esprit défense n° 14 (mars 2025), consacré à la désinformation.

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Analyser les attaques informationnelles dans le cadre des opérations militaires, remonter jusqu’à leurs commanditaires et contrer leur impact : telles sont les missions du CIAE. Une tâche titanesque, rendue indispensable par l’essor des plates-formes sociales, parmi lesquelles Facebook, X, Instagram ou TikTok. En quelques années, ces espaces sont devenus des champs de bataille immatériels où s’affrontent les narratifs, souvent à coups de manipulations et de fausses informations.

Comme d’autres États occidentaux, la France et ses armées sont régulièrement ciblées par des campagnes hostiles. En témoigne, la diffusion d’un faux ordre d’opération, à l’été 2023, au Niger, ou l’affaire du charnier de Gossi, au Mali, en avril 2022. Dans ces deux cas, le ministère des Armées a réagi avec des preuves et des faits vérifiés. « Mais il est difficile, voire impossible, de mesurer leur impact réel sur les internautes », constate le colonel Bertrand, chef de corps du CIAE.

En cause ? Les algorithmes des réseaux sociaux, qui favorisent les contenus sensationnalistes et enferment les utilisateurs dans des « bulles cognitives ». Résultat : la vérification des faits (fact checking) atteint rarement les internautes victimes de désinformation.

Derrière ces campagnes, des États tels que la Russie, la Chine ou l’Iran. Ces acteurs, aux intérêts parfois convergents, s’appuient sur des personnalités locales ou des groupes influents pour relayer leur propagande. Le but : semer la confusion et attiser le ressentiment, contre la France notamment.

Une expertise de pointe

Dans cette bataille de l’information et de l’influence, considérée en 2022 comme la sixième fonction stratégique française, le commandement de la cyberdéfense (Comcyber) a la charge de la lutte informatique d’influence (L2I), au profit du ministère des Armées. « Pour mener nos opérations, nous mobilisons les experts du CIAE dans des domaines variés : renseignement, open source1, communication numérique, référencement ou encore marketing », déclare le colonel Grégory, chef des opérations du Comcyber.

Le capitaine Mélanie fait partie de ces experts. Son rôle : détecter les manœuvres adverses et « rétablir la vérité » via des communiqués et des rapports publiés en ligne. Sur son bureau, plusieurs écrans analysent en continu l’activité numérique en Afrique de l’Ouest, sa zone de veille. Dans cette région, les armées françaises sont régulièrement accusées de piller les ressources ou de déstabiliser les gouvernements locaux. « Pris individuellement, ces narratifs peuvent sembler anodins. Mais leur répétition, associée à un contexte géopolitique tendu, contribue à ternir l’image des forces françaises à l’étranger », explique le capitaine.

En dépit du niveau de ces attaques, le CIAE refuse d’employer les mêmes méthodes que ses adversaires. « La France est une démocratie, nous agissons dans le respect des lois internationales et des règles émises par les plates-formes, à qui nous signalons les publications et les comptes identifiés comme diffuseurs de fausses informations », affirme le colonel Bertrand.

En 2024, 300 militaires ont été formés au domaine de l’influence. © SCH Christian Hamilcaro/Dicod/Défense

La modération des réseaux sociaux est au cœur du sujet, mais le défi est immense. À titre d’exemple, la plate-forme X (ex-Twitter) enregistre environ 500 millions de publications par jour, soit 15 milliards par mois. Pour traiter cette masse de données, le CIAE s’appuie sur des outils dopés à l’intelligence artificielle, qui permet une détection plus rapide et efficace des attaques informationnelles.

En complément, une équipe d’analystes se consacre à l’étude de « l’environnement humain des opérations » : populations civiles, dirigeants politiques ou religieux, milices locales, médias influents… Leur mission : recueillir des perceptions locales et fournir aux décideurs une vision globale de la situation. Que pensent les Ukrainiens de l’envahisseur russe ? Qu’écrivent les journaux burkinabés sur les armées françaises ? Quels outils utilisent les groupes armés au Mali pour recruter ? Ces informations, parfois collectées directement sur le terrain, alimentent les états-majors et influencent la conduite des opérations.

Former des influenceurs militaires

Autre pilier du CIAE : la formation. Sur l’année 2024, 300 militaires, tous grades et spécialités confondus, sont venus s’initier ou se perfectionner aux techniques de l’influence. Au programme : compréhension des algorithmes, lutte contre les fermes de trolls, détection des deepfakes… mais aussi des méthodes plus classiques comme le contact direct avec la population ou la distribution de tracts. « Un expert en influence militaire doit maîtriser tous les outils à sa disposition, car certaines populations ont un accès limité au numérique, et elles sont donc plus vulnérables à la désinformation », souligne le lieutenant-colonel Frédéric, responsable du pôle formation.

En 2023, au Gabon, le CIAE a ainsi produit et diffusé plusieurs clips pédagogiques via la télévision, la radio et la presse écrite pour sensibiliser la population aux infox (fake news). Ces vidéos rappelaient les bonnes pratiques : vérifier la source, analyser les détails, lire les commentaires, effectuer une recherche inversée. Loin d’être clandestine, cette campagne s’est déroulée en toute transparence, en partenariat avec l’ambassade de France, à Libreville. Une initiative nécessaire, alors que les drapeaux russes commençaient à fleurir sur les taxis de la capitale. « Nos investigations ont révélé que la plupart de ces chauffeurs venaient du Mali et du Tchad, où la propagande russe est très efficace », précise le sergent-chef Ludwig, vidéaste au sein de la cellule production du CIAE. 

Si l’impact exact de ces actions reste difficile à mesurer, une chose est sûre : face à la désinformation, la prévention et la pédagogie sont les meilleures armes, que ce soit en Afrique ou en France.

Par Kévin Savornin

1Sources ouvertes.



 

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