Comment l’armée de Terre se transforme
Combat collaboratif, intelligence artificielle, transparence du champ de bataille, économie de guerre… Face aux bouleversements géostratégiques que constituent le retour de la guerre en Europe et les tensions au Proche-Orient, l’armée de Terre s’adapte et poursuit sa transformation. L’objectif : répondre aux exigences de la guerre moderne. Explications.
Cet article est tiré du premier hors-série d’Esprit défense 2025
Lire le magazineL’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, a marqué une bascule stratégique pour la France et ses alliés. Trente ans après la fin de la Guerre froide, elle a acté le retour des conflits de haute intensité entre États sur le sol européen. Une opposition où la quantité d’hommes et de matériels (près d’un million de soldats déployés des deux côtés depuis le début du conflit) joue un rôle tout aussi crucial que les nouvelles technologies déployées sur le champ de bataille (intelligence artificielle, drones de combat, cyber, etc.). Pour l’armée de Terre, le défi est clair : s’adapter à ce changement d’ère stratégique. « Nous devons manœuvrer sur l’échelle de la compétition, de la contestation et de l’affrontement, avec pour mission de nous montrer suffisamment forts et crédibles afin d’empêcher une montée aux extrêmes de nos adversaires », estime le général Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre.
Pour y parvenir, l’armée de Terre s’appuie sur une ambitieuse loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030, qui prévoit un budget total de 413 milliards d’euros. Ces crédits permettront à nos forces aéroterrestres de se transformer, pour répondre aux exigences de la guerre moderne – aussi bien sur le plan opérationnel que capacitaire. « Il s’agit de trouver le bon équilibre entre le matériel et les hommes, la technologie et le courage, la cohérence et la masse, dans un esprit tourné vers les conflits à venir et non vers ceux du passé », indique le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, dans son ouvrage1.
Rester crédible
L’armée de Terre développe donc sa réactivité et sa puissance de combat. C’est notamment le cas avec le programme Scorpion2. Cette transformation numérique majeure, menée par la Direction générale de l’armement (DGA), vise à connecter les soldats et les véhicules déployés pour collecter des données et, communiquer l’information en temps réel à toutes les unités engagées. Le but : atteindre une coordination des effets, des armes et de la manœuvre pour dominer le champ de bataille. Pour Emmanuel Chiva, délégué général pour l’armement, « nous devons rester crédibles aux yeux de nos compétiteurs et montrer, malgré la protection offerte par la voûte nucléaire, que nos armes fonctionnent ».
Scorpion constitue le socle de la transformation capacitaire de l’armée de Terre pour les décennies à venir. Les véhicules blindés nouvelle génération Griffon, Jaguar et Serval sont tous équipés d’un système d’information unique qui permet de partager instantanément toutes les données du champ de bataille. La précision de l’information et la vitesse de transmission sont ainsi démultipliées, ce qui permet à l’armée de Terre d’entrer dans l’ère du combat collaboratif infovalorisé3.
La phase d’élaboration de l’architecture détaillée du programme Scorpion a été lancée en 2010, pour une première projection en opération extérieure en novembre 2021. Aujourd’hui, la LPM 2024-2030 ambitionne de livrer à l’armée de Terre 1 345 Griffon, 200 Jaguar et 978 Serval.
Produire plus, plus vite et moins cher
Au-delà de ce programme structurant, la DGA a dû s’adapter au nouveau contexte stratégique provoqué par le déclenchement de la guerre en Ukraine. Depuis deux ans, elle conduit le passage de notre industrie de défense à un modèle d’économie de guerre. À la nécessité d’investir le champ de l’innovation pour développer les systèmes d’armement les plus performants s’ajoute désormais celle de produire plus, plus vite et moins cher.
L’objectif : répondre au défi de la masse propre aux conflits de haute intensité, en instaurant un maximum de réactivité et de fluidité entre l’industrie de défense et les armées. Une force d’acquisition réactive (FAR) a été mise en place pour accélérer les procédures d’achat et répondre aux besoins les plus urgents. Pour l’armée de Terre, le passage à l’économie de guerre aura notamment permis l’accélération significative des cadences de production des canons Caesar et la relocalisation sur le territoire français d’Eurenco, une entreprise spécialisée dans la production de poudre propulsive.
« 3 000 drones en dotation dès 2025 »
Autre segment important de la transformation de l’armée de Terre : les drones. De l’aveu du ministre des Armées, « la période en cours est celle de la dronisation de l’armée de Terre, avec 3 000 drones en dotation dès 2025 et la création d’une école, inaugurée fin 2023, pour former tous nos opérateurs. » Ces aéronefs, particulièrement utilisés sur le champ de bataille ukrainien, constituent l’une des ruptures technologiques récentes avec la robotique, le cyber ou encore l’intelligence artificielle. « Certes, il y aura toujours besoin de canons pour remporter la bataille et de soldats pour tenir le terrain, mais la révolution numérique et robotique place, d’une certaine façon, le soldat et ses équipements traditionnels au second plan dans ces affrontements d’un nouveau genre », ajoute le ministre.
Cultiver l’esprit guerrier
L’analyse des récents conflits montre toutefois que le facteur humain reste le premier garant de la victoire au combat. « Les matériels les plus performants et les stratégies les mieux conduites ne produisent pas les effets attendus si les soldats ne font pas preuve de valeurs martiales, si les chefs de tout grade ne sont pas déterminés à vaincre, si la Nation ne soutient pas ses combattants », souligne le général Pierre Schill. Pour faire face aux combats les plus exigeants, l’armée de Terre cultive et entretient l’esprit guerrier de ses militaires unis par des valeurs partagées : loyauté, dévouement, détermination et audace. Ce ciment crée les conditions d’une fraternité d’armes, indispensable boussole pour les difficiles moments de combat. Loin d’être désuètes, ces valeurs séduisent la nouvelle génération. La jeunesse a « conscience qu’un engagement militaire a un véritable sens », indique le général Pierre Schill qui a « une confiance totale » en elle. Chaque année, l’armée de Terre recrute 15 000 jeunes qui « veulent agir », motivés à l’idée de rejoindre une armée « d’emploi ». Dans cette optique, l’armée de Terre espère, d’ici à 2027, pouvoir déployer une division (19 000 hommes et 7 000 véhicules) en 30 jours, contre six mois actuellement. « Le but est de nous montrer forts pour décourager nos adversaires potentiels et affirmer notre solidarité stratégique avec nos alliés », explique le général Pierre Schill. C’est en ce sens que la France a pris en 2024, et pour une durée d’un an, le commandement d’une force terrestre multinationale de l’Otan pouvant atteindre 120 000 hommes.
Par Kévin Savornin
1 Vers la guerre ? aux éditions Plon, publié en octobre 2024.
2 Pour Synergie du Contact Renforcée par la Polyvalence et l’InfovalorisatiON.
3 Ce système permet un partage instantané des informations tactiques : localisation des alliés, identification des menaces ou encore coordination des frappes.
La France face aux guerres d’aujourd’hui et de demain
Retour de la guerre de haute intensité, transformation de l’armée de Terre, défense de l’espace aérien, retour du combat en mer, conséquences du changement climatique, ruptures technologiques…
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