Débarquement de la 2e DB : « Dans le soleil levant, un spectacle magnifique »
Il y a 80 ans jour pour jour, le 1er août 1944, la 2e division blindée du général Leclerc débarquait en Normandie dans le secteur d’Utah Beach. Au milieu de ces hommes se trouvait Robert Bensaid, né en 1925, au Maroc, d’une famille originaire d’Algérie. De ses blessures à sa rencontre fortuite avec le général Leclerc, l’ancien combattant n’a rien oublié de cette campagne de libération de la France. Témoignage.
Comment avez-vous vécu la défaite de juin 1940 ?
Je suis alors en classe de seconde dans un lycée à Casablanca, au Maroc, qui je le rappelle était à l’époque un protectorat français. Beaucoup de troupes sont redescendues après la débâcle. Hormis les Marocains, se trouvent notamment des Français, des Italiens ou encore des Espagnols. Bien que je poursuive ma scolarité, j’assiste tout doucement à la mise en place du régime de Pétain. L’arrivée du Service d’ordre légionnaire1 (SOL) en est l’exemple le plus frappant.
Quels souvenirs gardez-vous de l’arrivée des Alliés en Afrique du Nord, fin 1942 ?
Ce sont les Américains qui arrivent au Maroc, le 8 novembre 1942. Je suis responsable d’une troupe de scouts et ce jour-là, nous étions partis camper dans les bois. Entre 5h et 6h du matin, nous sommes réveillés par des duels aériens entre des avions français et américains2. Tout ceci ne dure finalement que quelques jours. Dès le 11 novembre, les combats cessent, non sans avoir causé quelques dégâts.
Pourquoi vous êtes-vous engagé, à l’âge de 18 ans ?
Ma classe d’âge3 allait de toute façon être appelée pour effectuer le service militaire. J’ai devancé cet appel et me suis engagé en avril 1943, à 18 ans, car l’armée avait besoin de monde. J’intègre ensuite une école d’élève-officier de réserve, à Cherchell, en Algérie. Six mois plus tard, j’en ressors finalement sergent. Mon classement à la sortie de l’école me permet de choisir ma future unité. Ce sera la 2e division blindée (2e DB) du général Leclerc. Je suis malheureusement arrivé trop tard pour être admis dans une formation de combat, mais je suis incorporé à la Compagnie d’instruction divisionnaire n°12 (CID 12). Le 20 mai 1944, nous embarquons à Mers el-Kébir, direction l’Angleterre, où nous allons poursuivre notre entraînement. Je me retrouve dans le nord du pays, à la limite de l’Écosse.
Robert Bensaid
- Décoré de la médaille militaire
- Chevalier de la Légion d’honneur
- Croix de guerre (deux citations)
Que retenez-vous de votre arrivée sur le sol français ?
J’en garde un souvenir ahurissant. Nous débarquons le 1er août, vers 5h du matin, sur la plage d’Utah Beach. Dans le soleil levant, c’est un spectacle magnifique et inhabituel. La mer est couverte de bateaux de toutes sortes, chacun avec un ou deux ballons de protection attachés à des filins de plus de 100 mètres de long pour se protéger des attaques aériennes directes. Des avions alliés patrouillent le ciel en permanence.
Et ensuite ?
Nous nous dirigeons vers Sainte-Mère-Église. En chemin, pas une seule maison n’est intacte. Nous tombons sur des carcasses de matériel allemand et quelques prisonniers ennemis. Mais la ligne de front est déjà assez loin à ce moment-là. Le CID 12 reste en effet à 50-60 km en arrière des combats. Il en sera ainsi jusqu’à Alençon, Le Mans, Chartres et Paris. En revanche, je suis engagé dans l’active à partir du 26 août et deux jours plus tard, affecté eu 1er bataillon du régiment de marche du Tchad. Ce dernier était composé de fantassins. Leur mission : appuyer les chars. Car ces derniers ne pouvaient pas voir derrière et sur les côtés.
Vous avez été blessés à deux reprises. Comment cela s’est-il déroulé ?
On quitte Paris autour du 15 septembre en direction de l’Est. Les pluies d’automne commencent à arriver. Cela pose un problème car nos chars s’embourbent dans les champs, contrairement à ceux des Allemands qui sont équipés de chenilles mécaniques et non en caoutchouc. Nous devons alors franchir un pont pour atteindre Manonviller (Meurthe-et-Moselle). Je fais partie du groupe chargé de sonder l’ouvrage afin de voir s’il est praticable. Malheureusement, il est défendu par l’ennemi et je suis touché à la poitrine. Je suis évacué au Val-de-Grâce (Paris) et ne réintègre la division que fin novembre, après la prise de Strasbourg.
Puis la deuxième blessure ?
Janvier 1945 est une période très difficile, marquée par la contre-offensive des Ardennes et la rudesse de l’hiver. Le 25, nous sommes à Hüttenheim (Bas-Rhin) pour nettoyer la poche de Colmar. Il y a une tempête de neige et nos chars ne peuvent plus avancer. Vers 11h, je vois arriver la jeep du général Leclerc. Ce dernier est furibond et nous ordonne de repartir. Mais un pont se dresse à nouveau devant nous. Ma patrouille est donc envoyée pour vérifier l’édifice. C’est là que nous sommes pris pour cible par des soldats embusqués. Je me retrouve à l’hôpital de Percy et ne peux pas retourner au combat. Je passe ensuite ma convalescence à Casablanca jusqu’à la fin de la guerre.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué au cours de ces mois sur le territoire métropolitain ?
Contrairement aux Alsaciens qui étaient plus ouverts, les paysans normands n’étaient pas toujours agréables à fréquenter. Pour améliorer nos relations, nous faisions ainsi des échanges ou bien nous leurs offrions des cigarettes ou des conserves qui provenaient de notre ravitaillement américain. Faire la guerre aux côtés des chars m’a également beaucoup appris sur le rôle de cet engin, un mastodonte certes mais aveugle derrière et sur les côtés. Il a besoin d’hommes pour l’épauler. Voir le général Leclerc a aussi été un moment fort, même si ma blessure survient juste après. J’ai d’ailleurs gardé la balle qui m’a traversé la jambe.
1 Le Service d'ordre légionnaire est le précurseur de la Milice française.
2 Les troupes restées fidèles à Vichy se sont opposées aux forces américaines.
3 L’appel sous les drapeaux s’effectue alors à 20 ans.
Contenus associés
8 mai 1945 : les grandes figures militaires françaises de la victoire des alliés
Ce 8 mai 2025 sont célébrés les 80 ans de la Libération. Parmi les militaires français, plusieurs ont activement contribué à la victoire des Alliés. Lumière sur ces héros de la Seconde Guerre mondiale qui avaient la France chevillée au cœur.
06 mai 2025

Une infox à l’origine de la guerre de 1870 ?
Juillet 1870. L’antagonisme entre Paris et Berlin est à son paroxysme depuis l’échec de l’annexion du Luxembourg par la France en 1867. La guerre est proche, mais elle peut être évitée. Toutefois, une fausse information va transformer une crise diplomatique en un affrontement majeur. L’homme qui tire les ficelles : le chancelier prussien Otto von Bismarck.
28 mars 2025

1944, la France libérée : dossier spécial
Du débarquement de Normandie à celui de Provence, jusqu’aux combats pour reprendre Strasbourg, la bataille de la France va durer près de six mois à partir de juin 1944. Sans les Alliés, rien n’aurait été possible, mais de nombreux Français ont aussi participé à la victoire. C’est à travers eux, et pour leur rendre hommage, que ce dossier spécial a été conçu.
04 juin 2024
