Enjeux maritimes : tensions sur les océans

Direction : Ministère des Armées / Publié le : 01 janvier 2025

Les guerres actuelles en Ukraine et au Proche-Orient entraînent des répercussions dans tous les champs de conflictualité, notamment en mer. Ces conflits s’ajoutent à un environnement maritime déjà dégradé, dans lequel s’exacerbe la compétition entre les grandes puissances au détriment, parfois, du droit international. Revue de détail.

Le sous-marin nucléaire d’attaque Suffren et le porte-avions Charles de Gaulle (exercice Polaris). © PM Charles Wassilieff/Marine nationale/Défense

Cet article est tiré du premier hors-série d’Esprit défense 2025

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Mer Rouge, mer Noire, mer Baltique… Peu de zones maritimes sont épargnées par la dégradation du contexte géostratégique, marqué par la fin des dividendes de la paix et le retour du combat de haute intensité en mer. Ces grands espaces sont en effet le théâtre d’une compétition croissante entre les puissances, marquée par un phénomène de « territorialisation des mers », quand ils ne deviennent pas tout simplement une zone d’extension des combats terrestres. Conséquence : nos flux de matières premières et de biens manufacturés1, nos fonds marins, les câbles qui les sillonnent, nos ressources halieutiques, les terres rares enfouies dans les profondeurs, voire certains de nos espaces ultramarins, sont de plus en plus convoités et disputés. « Ce panorama plutôt préoccupant montre deux changements stratégiques majeurs de l’époque que nous vivons : la simultanéité des crises et l’accroissement du niveau de violence. Cette détérioration a des effets durables en mer », indique l’amiral Nicolas Vaujour, chef d’état-major de la Marine nationale. Face à ces menaces, cette dernière est logiquement en première ligne pour défendre nos intérêts et faire respecter le droit international.

Extension du combat terrestre en mer

Dans sa riposte à l’agression russe, les Ukrainiens ont réussi à infliger des dégâts considérables à la flotte de Moscou, la repoussant loin de ses côtes. Un succès pour Kiev, qui a pu relancer son trafic maritime, et notamment ses exportations agricoles. « L’attrition contre la flotte russe prisonnière de la mer Noire est l’objectif prioritaire que s’est fixé l’Ukraine. Elle y parvient grâce à la combinaison adroite d’une pluie de missiles de croisière et d’une horde de drones navals ou aériens, dont le nombre et la létalité augmentent sans cesse », expliquent le capitaine de vaisseau Thibault Lavernhe et le capitaine de frégate François-Olivier Corman2, chercheur associé à l’institut FMES. Au 7 juillet 2024, l’Ukraine avait ainsi endommagé ou détruit 27 navires ennemis, selon le vice-amiral ukrainien Oleksiy Neizhpapa, soit 36 % des 74 navires de toute taille dont disposait la flotte russe de la mer Noire au début du conflit.

Ce prolongement des combats terrestres en mer se retrouve également en mer Rouge. Pour y accéder depuis l’océan Indien, il faut en effet d’abord passer le détroit de Bab el-Mandeb, un verrou stratégique sur la grande autoroute du commerce maritime mondial reliant l’Asie à l’Europe via le canal de Suez. Mais le 19 novembre 2023, les rebelles houthis du Yémen interceptent le Galaxy Leader, un navire cargo lié à un homme d’affaires israélien, et prennent en otage ses 25 membres d’équipage. Les assaillants affirment agir en solidarité avec les Palestiniens de la bande de Gaza, en raison de la guerre entre Israël et le Hamas. Depuis cette date, les attaques se multiplient contre les navires marchands et militaires. Conséquence directe, le trafic en mer Rouge, qui représentait 13 % du trafic mondial, 30 % du trafic de conteneurs et 21 % du trafic énergétique, a été divisé par deux.

En réponse à ces attaques3 récurrentes, l’Union européenne lance l’opération Aspides, en février 2024. Ses missions : protéger le trafic maritime et contribuer à la liberté de navigation dans la région. Au total, 21 États membres participent à cette mission et trois, dont la France, y engagent des bâtiments de premier rang.

Territorialisation de l’espace maritime

Depuis la ratification de la convention de Montego Bay et la création des zones économiques exclusives (ZEE), en 1982, les espaces maritimes exacerbent la compétition entre les grandes puissances. Intérêts stratégiques et économiques s’y entremêlent pour créer un environnement contesté, où le droit de la mer est de moins en moins respecté. Ce phénomène de territorialisation des mers n’est pas cantonné à une seule région. Cependant, l’Indopacifique est celle qui concentre la plupart des tensions interétatiques.

La délimitation des espaces maritimes, selon la convention des Nations unies sur le droit de la mer. © Ministère des Armées

Schéma des zones maritimes.

  • terre
  • ligne de base délimitant les eaux intérieures près de la terre
  • mer territoriale d'une distance de 12 milles (22km)
  • zone économique exclusive d'une distance de 200 milles (370 km)
  • haute mer

Schéma des zones maritimes.

  • terre
  • ligne de base délimitant les eaux intérieures près de la terre
  • mer territoriale d'une distance de 12 milles (22km)
  • zone économique exclusive d'une distance de 200 milles (370 km)
  • haute mer

Depuis deux décennies maintenant, la mer de Chine méridionale est ainsi devenue l’un des cas emblématiques à la fois de la contestation des règles juridiques internationales et de la volonté d’appropriation agressive de nouveaux territoires par la République populaire de Chine. La stratégie chinoise se fonde sur deux piliers : d’une part, la revendication d’un espace territorial au titre de « l’héritage historique » et, d’autre part, la création d’une présence militaire permanente sur les îlots contestés. La militarisation des récifs de la mer de Chine méridionale apparaît ainsi comme la seconde étape d’une stratégie du fait accompli qui vise, pour Pékin, à étendre sa présence territoriale au sud-ouest de ses territoires continentaux et insulaires au détriment de Taïwan, du Vietnam, des Philippines, ainsi que d’autres acteurs de la région.

Des revendications accompagnées d’actes d’intimidation qui s’étendent également au Japon. Tokyo se voit en effet contester ses îles Senkaku, considérées par Pékin comme étant d’intérêt stratégique fondamental. Parallèlement, la Corée du Nord effectue régulièrement des tirs de missiles balistiques vers la mer du Japon. Le dernier en date, début janvier 2025, a même été présenté par l’agence de presse nord-coréenne comme étant celui d’un missile hypersonique.

Pour la France, l’intensification de la compétition en mer constitue un enjeu de souveraineté nationale. Avec ses 10,2 millions de km², dont 97 % dans les Outre-mer, elle possède en effet la deuxième plus grande ZEE au monde après les États-Unis. Des espaces qu’il faut protéger des menaces hybrides venant d’États, mais aussi d’acteurs non étatiques. En patrouillant régulièrement le long des détroits importants, comme celui de Malacca par où transitent 80 000 bateaux par an, soit un toutes les six minutes, la France et sa Marine nationale ont un objectif clair : défendre le droit international pour empêcher toute politique du fait accompli. « La liberté de navigation est aussi primordiale pour disposer d’une capacité d’intervention, quel que soit l’endroit du globe », rappelle le capitaine de frégate Luc, de l’état-major des opérations de la Marine.

Maîtriser les fonds marins

Septembre 2022. Alors que la guerre en Ukraine a débuté il y a près de six mois, l’Europe, alors largement dépendante du gaz russe, subit une hausse drastique du coût de l’énergie. Mais un événement va encore aggraver la situation : le sabotage de Nord Stream, ces deux gazoducs tapis au fond de l’eau de la mer Baltique et reliant la Russie à l'Allemagne. L’origine de ces fuites impressionnantes n’est aujourd’hui toujours pas connue. Ce fait n’en reste pas moins révélateur de la fragilité de certaines installations stratégiques.

Plus récemment encore, c’est un câble sous-marin en mer Baltique et reliant la Finlande à l’Estonie qui est tombé en panne, le 25 décembre 2024. Si l’enquête est toujours en cours, les regards se tournent vers le pétrolier Eagle S, battant pavillon des îles Cook mais suspecté d’appartenir à la « flotte fantôme4 » russe. De nombreux incidents similaires ont eu lieu en Baltique depuis l’agression russe en Ukraine, en février 2022. Ces deux exemples s’inscrivent néanmoins parfaitement dans le contexte de « guerre hybride » entre la Russie et les pays occidentaux, particulièrement sous l’eau.

Carte de la maîtrise des fonds marins. © Ministère des Armées

Infographie représentant les fonds marins en coupe.

Sur le fond marin, des câbles de télécommunication, des gazoducs et des oléoducs.

Un robot téléopéré depuis un bâtiment en surface navigue sous les 3000m.

A partir de 2026, les drones sous-marins pourront descendre à – 6000m.

Infographie représentant les fonds marins en coupe.

Sur le fond marin, des câbles de télécommunication, des gazoducs et des oléoducs.

Un robot téléopéré depuis un bâtiment en surface navigue sous les 3000m.

A partir de 2026, les drones sous-marins pourront descendre à – 6000m.

Les fonds marins renferment en effet de nombreux sites sensibles ou d’intérêt majeur. La maîtrise de ce milieu est donc un vrai enjeu de souveraineté. Dès février 2022, le ministère des Armées s’est ainsi doté d’une Stratégie de maîtrise des fonds marins. La Marine nationale peut déjà compter sur deux robots téléopérés, l’un pouvant plonger à 1 000 mètres de profondeur et l’autre à 2 000 mètres. En 2023, la Direction générale de l’armement (DGA) s’est ensuite vue confier, en lien avec le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI), le développement d’un drone sous-marin autonome (en anglais, Autonomous Underwater Vehicle – AUV) et d’un robot téléopéré (en anglais, Remotely Operated Vehicle – ROV), tous deux capables d’opérer jusqu’à 6 000 mètres. Outre son adéquation avec la Stratégie de maîtrise des fonds marins, cette feuille de route s’inscrit surtout dans le cadre de l’objectif « Investir dans le champ des fonds marins » du plan d’investissement France 2030. En ligne de mire, positionner la France non seulement en acteur, mais aussi en leader du monde de demain.

Par EV1 Antoine Falcon de Longevialle

1 80 % des biens manufacturés transitent par la mer.

2 Dans Orques contre piranhas – dix enseignements de la guerre navale en mer Noire et en mer Rouge (FMES, décembre 2024).

3 En mer Rouge, le temps de réaction à des frappes de missiles balistiques n’est que de quelques secondes, et de quelques minutes face à des drones de type One-Way Attack (OWA).

4 Ce terme désigne les navires qui transportent des produits pétroliers russes malgré l’embargo les concernant.

La France face aux guerres d’aujourd’hui et de demain

Retour de la guerre de haute intensité, transformation de l’armée de Terre, défense de l’espace aérien, retour du combat en mer, conséquences du changement climatique, ruptures technologiques… 

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