« Nos armées sont au rendez-vous », général Vincent Giraud

Direction : Ministère des Armées / Publié le : 18 mai 2025

Contexte géopolitique, loi de programmation militaire, effort de défense, réserves. Le major général des armées est l’invité d’Esprit défense n°15. Il fait le point sur tous ces sujets, un an après son arrivée auprès du chef d’état-major des armées.

Dans le bureau du général Vincent Giraud, lors de l’entretien avec Esprit défense, en avril 2025. © MDL Victor François/Dicod/Défense

Cet entretien est tiré d'Esprit défense n° 15 (mai 2025), consacré à la préparation à la haute intensité.

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Le poste de major général des armées (MGA), essentiel pour le fonctionnement des armées, est méconnu du grand public. Pouvez-vous nous expliquer en quoi il consiste ?

Général Vincent Giraud : Le major général des armées a trois fonctions. La première est d’aider le chef d’état-major des armées (CEMA) à commander les armées, directions et services qui sont sous ses ordres. La deuxième chose qu’il doit faire, c’est commander l’État-major des armées (EMA) qui est un peu le centre névralgique des armées.

Et enfin, la troisième est de fédérer l’action des armées avec les autres grandes entités du ministère, la Direction générale de l’armement (DGA), le Secrétariat général pour l’administration (SGA) et la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS). Mon travail consiste donc en la coordination opérationnelle de l’EMA avec toutes ces entités.

Pour ce faire, ma relation avec le CEMA est quotidienne. Le MGA est en quelque sorte l’engrenage qui permet de passer de la conception, de l’ambition, de la vision à l’exécution, à la conduite et au contrôle de toutes les décisions prises au plus haut niveau. C’est vraiment un rôle charnière.

Le contexte stratégique doit jouer un rôle primordial en ce moment…

Dans ma carrière d’officier, j’aurai connu trois bascules stratégiques. La chute du mur de Berlin, l’année de mon entrée à Saint-Cyr, dans une armée qui était trois fois plus importante que celle d’aujourd’hui et qui avait un objectif opérationnel très simple : la guerre froide et celle, potentielle, contre l’Union soviétique. La deuxième rupture, c’est le 11 septembre 2001, quand nous basculons dans la lutte contre le terrorisme. Et la troisième est celle que l’on est en train de vivre avec la guerre en Ukraine, qu’on appelle aussi guerre hybride. En clair, tous les champs, tous les milieux sont occupés par cette guerre. Nous vivons ce choc stratégique en direct, avec sa part d’incertitude et d’exigence. Si j’avais un message à faire passer, c’est celui de la confiance en la capacité de nos armées à être au rendez-vous de ce qu’on leur demande, avec humilité et courage. Il faut continuer à cultiver ces vertus, car c’est ce qui permet que notre pays soit en paix.

Cette incertitude et cette exigence impliquent un véritable effort de défense pour la Nation. Comment se traduit-il aujourd’hui ?

Nous avons un socle solide avec la Loi de programmation militaire (LPM). Elle est l’outil sur lequel nous nous fondons pour travailler sur le long terme. Je pense qu’une des particularités du ministère des Armées, c’est qu’il peut être encore dans une stratégie de temps long. La LPM, c’est une enveloppe de 413 milliards d’euros sur sept ans, avec des objectifs clairs : le renouvellement complet de la dissuasion nucléaire et la poursuite de l’effort de défense qui a été amorcé avec la LPM précédente.

Ce qui se passe en Ukraine, mais également les tensions au Proche-Orient et Moyen-Orient ainsi que les évolutions potentielles de posture des États-Unis sur le continent européen impliquent des réflexions profondes liées, notamment, au réarmement.

Tout ceci va nécessiter des ressources supplémentaires. Nous avons la chance d’avoir une base industrielle et technologique de défense (BITD) solide : 200 000 emplois, 4 000 entreprises, et l’argent dépensé par l’État au profit de sa défense va mécaniquement irriguer notre territoire national, nos entreprises, notre innovation, et bien sûr l’emploi. Nous avons cette chance d’avoir une industrie de défense souveraine et très développée. Nos investissements vont ainsi profiter au tissu industriel et économique du pays.

Lors de la clôture du Paris Defence and Strategy Forum (PDSF) à l’École militaire, en mars 2025 © Ministère des Armées

Cette BITD est une chance, mais va-t-elle pouvoir tenir la cadence ?

C’est une vraie question qui soulève des débats. Ce que je peux dire, c’est que nous sommes toujours dans un équilibre entre ce que l’État finance et les risques que les industries sont prêtes à prendre. Par nature, notre outil de défense s’inscrit dans la durée. Nous parlons par exemple aujourd’hui du successeur du porte-avions Charles de Gaulle, qui pourrait être mis à la mer en 2038, mais dont on sait qu’en 2080, il sera encore en service.

Ceci illustre ce cycle long et notre système est fondé sur la capacité à développer ce genre de projet. En contrepartie, nous sommes sous le coup de deux évolutions importantes. La première, bien sûr, la guerre est de retour aux portes de notre continent, mais aussi au Proche-Orient et Moyen- Orient, sans oublier les tensions en Indopacifique. Le deuxième mouvement est l’accélération technologique avec l’IA, la numérisation, la production en masse, etc. Celle-ci, couplée à la menace croissante, implique de trouver les voies et moyens pour que nous soyons capables de nous doter d’équipements, que je qualifierais d’accompagnement, de la guerre électronique et du cyber, ainsi que des munitions, des drones, en plus des systèmes structurants de temps long, qui vont continuer à exister. Avec une nouvelle contrainte : s’en doter vite, avec des technologies souvent civiles que nous allons devoir intégrer à nos équipements militaires. C’est ce que nous appelons la Révolution dans les affaires capacitaires (RAC). Il faut être capable de continuer à produire, ce que notre BITD sait très bien faire, et en même temps, savoir prendre en compte la menace qui arrive. Les technologies évoluent plus vite, nous devons donc pouvoir acquérir plus rapidement et à moindre coût. La dualité civilo-militaire doit ainsi être notre fil conducteur. Jusqu’aux années 1980 ou 1990, l’innovation technologique était menée par la recherche militaire. Aujourd’hui, ce sont les entreprises civiles et privées qui sont à l’origine des grandes innovations technologiques. Nous devons être capables d’accompagner ce mouvement, d’aller capter ce qui nous intéresse, de le faire évoluer dans notre sillage, tout en poursuivant nos développements spécifiques.

Pour relever ce défi majeur, le ministère des Armées ne peut pas travailler seul, il doit coopérer avec des partenaires…

Il y a cette dualité forte avec les entreprises, et il y a aussi ce qu’on appelle de l’interministériel. Nous travaillons naturellement avec le ministère de l’Intérieur. Nous conduisons ensemble de nombreuses missions, comme Sentinelle dans l’hexagone ou Harpie en Guyane. L’Éducation nationale est également un ministère avec lequel nous collaborons autour des sujets de cohésion nationale et de formations. Il y a beaucoup à faire sur la dimension interministérielle des sujets sécuritaires. À l’international, nous avons nos coopérations bilatérales et multilatérales ainsi que nos alliances, comme l’Otan et l’Union européenne. Nous sommes également partie prenante des Nations unies, puisque nous avons des forces déployées, au Liban par exemple au sein de la Finul. Enfin, nous pouvons citer toutes les coalitions ad hoc et les partenariats en direct avec des pays partout dans le monde, au Proche-Orient et Moyen-Orient, en Afrique, en Asie du Sud-Est. Une de nos forces réside dans notre capacité à fédérer, en coalition, en interministériel ou à l’international. Nous vivons une croissance exponentielle de la complexité. Et, pour y répondre, la meilleure manière réside dans le travail collaboratif.

Face au contexte géopolitique tendu, plusieurs initiatives ont vu le jour au sein du ministère des Armées. Parmi celles-ci, les Stadef. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Avec le retour de la menace, les armées se sont interrogées sur la manière dont nous passerions d’un système de temps de paix à l’autre bout du spectre, celui de temps de guerre. Entre ces deux extrêmes, il y a plusieurs postures différentes. Nous avons donc imaginé une échelle de « stades de défense ». Elle va du niveau Stadef 5, lorsque la situation est stable, jusqu’à un Stadef 1, qui correspond à un état de guerre. Avec ce système, nous aurions pu imaginer que, dans le cadre des attentats de 2015, nous serions passés en Stadef 4. À chacun de ces stades, nous agissons différemment. C’est une échelle de mobilisation de l’ensemble de la Nation d’un point bas jusqu’à un point haut, avec différents échelons réversibles.

Autre sujet d’attention et véritable priorité au sein du ministère des Armées : la réserve. Où en est-on aujourd’hui sur ce dossier ?

Les armées ont toujours eu des réserves. Vous avez des réservistes qui font Sentinelle, vous en avez sur les bateaux de la Marine nationale, d’autres qui contribuent à monter la garde sur les bases de l’armée de l’Air et de l’Espace. Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a décidé d’augmenter leur nombre, avec un objectif de 80 000 à l’horizon 2030 pour arriver à un réserviste pour deux personnel d’active, et atteindre 105 000 personnes, en 2032. Les choses sont en train de se mettre en place, avec l’idée de s’assurer que tout Français qui frappe à notre porte ait une réponse et qu’on puisse lui faire une proposition. Je pense que nous avons encore des progrès à faire, notamment sur les délais de réponse. Nous sommes en train de mettre en place deux dispositifs importants : l’accroissement de notre centre d’appel d’abord, puis la modernisation de notre système d’information, ROC (pour Réserve opérationnelle connectée), qui est notre point d’entrée – en cours de refonte parce qu’il ne correspond plus aux besoins d’aujourd’hui. Voilà les deux mouvements qui vont nous permettre d’intégrer vite et mieux nos réservistes.

Le général Vincent Giraud lors de l’exercice Strasbourg, en mai 2022. © Ministère des Armées

Qui sont ces réservistes ? Avez-vous un « portrait-robot » du candidat ?

Ils sont le reflet de notre société, ce qui est très heureux d’ailleurs. Ils viennent de tous les horizons, de tous les milieux, avec toutes les compétences. Nous avons aussi bien des étudiants qui sont dans des unités de combat que des cadres spécialisés dans le cyber ou dans le domaine de la santé, et qui viennent offrir leurs services. Il n’y a donc pas de « portrait-robot », mais, il est évident que le contexte sécuritaire a une véritable influence sur les candidatures. Nous avons connu une première grande vague de recrutements au moment des attentats du Bataclan en 2015 par exemple. En 2022, après l’invasion de l’Ukraine, les jeunes aussi étaient là, prêts à s’engager. Je trouve cela admirable et rassurant. C’est la raison pour laquelle nous avons un devoir à leur égard. Cet engouement est la preuve que, dans notre pays, l’esprit de défense et la cohésion nationale existent.

Une dernière question plus personnelle, avez-vous une recommandation de lecture à nous faire ?

J’en ai même deux. Citadelle, d’Antoine de Saint- Exupéry, qui devrait inspirer tous les gens qui ont des responsabilités. C’est un livre inachevé, mais je le trouve très fort, il permet de prendre du recul sur beaucoup de choses. Et je recommande également la lecture de La guerre hors limites, écrit par deux colonels de l’armée de l’Air chinoise. Un texte éclairant sur leur perception des nouveaux conflits et tensions dans le monde.

Recueilli par Marc Fernandez


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