Le renseignement militaire s’adapte à un monde en pleine ébullition
Dans un contexte géopolitique en pleine ébullition, la Direction du renseignement militaire (DRM) mène une triple transformation : stratégique, organisationnelle et numérique. Entretien avec son directeur, le général Jacques Langlade de Montgros.
Quelles sont les missions de la DRM aujourd’hui, dans un contexte géopolitique dégradé ?
Général Jacques Langlade de Montgros : La DRM a trois missions : décrypter le chaos du monde, éclairer la décision de nos hautes autorités et préparer l’engagement des forces en opération. Nous nous trouvons en effet dans un contexte stratégique en pleine ébullition et nous vivons une accélération de l’accélération de l’Histoire. Il faut donc essayer, dans la masse d’informations que nous collectons au quotidien, de discerner l’essentiel de l’accessoire et de croiser ces informations entre elles pour produire, in fine, du renseignement. Nous devons présenter au Président de la République, au ministre et au chef d’état-major des armées (CEMA), notre appréciation sur les zones de crise, afin de distinguer le « probablement vrai » du « probablement faux ». Vaste sujet qui occupe une part significative de notre travail et qui ne cesse de croître. Nous devons également éclairer la prise de décision de nos autorités en leur fournissant le renseignement dont elles ont besoin. Enfin, pour toutes les forces opérationnelles qui sont engagées sur le terrain, il nous faut leur apporter la meilleure compréhension possible du cadre dans lequel elles vont s’engager, celle de l’ennemi ou de l’adversaire auquel elles pourraient être amenées à faire face.
Le contexte stratégique a beaucoup évolué. Comment le renseignement militaire en général et la DRM en particulier se sont-ils adaptés ?
Le monde change, la DRM s’adapte. Elle mène une triple transformation. La première est stratégique : nous sommes passés d’un renseignement prioritairement tourné vers la chasse aux terroristes sahéliens à une recherche du renseignement principalement centrée sur le compétiteur russe. Je ne vous surprends pas, mais il s’agit en réalité d’une évolution considérable. Pour produire du renseignement, il faut avoir des accès. Ces nouveaux accès, nous les avons créés, adaptés, réinventés, grâce à nos capteurs techniques et humains, sans oublier nos partenaires étrangers.
La deuxième transformation est organisationnelle. Nous avons lancé un big bang le 1er septembre 2022, quelques mois après mon arrivée. Une révolution qui était déjà en gestation, mais il fallait la finaliser, rendre un certain nombre d’arbitrages et la mettre en œuvre.
Nous avons ainsi procédé à la mise en place d’une organisation matricielle au sein du renseignement des armées, et singulièrement de la DRM, centrée sur la finalité de la recherche et non pas sur les moyens. En résumé, nous avons rassemblé la recherche et l’exploitation du renseignement au sein de zones géographiques ou de thématiques particulières. Il y avait jusqu’à présent une dissociation entre la recherche et l’analyse, il y a désormais intégration des deux. Le passage d’une organisation en silo à une organisation matricielle est une forme de défi en matière de procédures, mais elle est adaptée au contexte. Plus personne n’imagine fonctionner autrement. Surtout, elle donne du sens à l’action de chacun au quotidien.
La troisième transformation est numérique. Cette année, après une longue phase de préparation, nous allons commencer à utiliser un nouvel outil destiné à capitaliser et à croiser l’ensemble de nos données de renseignement dans une application nommée Escrim. Le travail de nos analystes sera ainsi plus rapide, plus efficace, plus approfondi. Cette « appli » sera déployée sur Artemis, la plate-forme d’intelligence artificielle du ministère. C’est l’aboutissement d’un travail de fond ; un véritable défi. C’est pourquoi la seule priorité que j’ai fixée à la DRM cette année est de réussir le début de l’utilisation opérationnelle d’Escrim.
La DRM relève le défi de la donnée avec ARTEMIS.IA
Vous vivez dans un monde secret, qui véhicule bien des fantasmes. On entend peu parler de la DRM dans les médias. Est-ce une volonté ? Pour vivre bien, vivons cachés ?
La notion de secret est nécessaire, parce que le bien le plus précieux d’un service de renseignement, ce sont ses accès (techniques, humains). Ce sont eux qui nous permettent de recueillir nos données – les informations dont nous avons besoin pour ensuite produire du renseignement. Si nous voulons les préserver, il faut les protéger. C’est la raison pour laquelle il faut les entourer d’un certain niveau de confidentialité. La sécurité et l’intégrité des militaires engagés en opération nécessitent aussi ce niveau de confidentialité. Pour ces raisons, il existe une notion de secret. La DRM, par nature, est un outil de souveraineté. Et comme tous les outils de souveraineté, elle n’a pas vocation à dévoiler sur la place publique ses savoir-faire. En revanche, il y a un devoir d’expliquer à nos concitoyens ce que l’on fait pour eux et pour la protection des intérêts français. Il faut trouver la juste mesure entre cette nécessaire pédagogie et la préservation de nos accès.
« La déclassification du renseignement peut se retourner contre celui qui déclassifie. »
- Directeur du renseignement militaire
Nous avons une culture du secret en France que l’on retrouve moins aux États-Unis, par exemple. Ceux-ci déclassifient beaucoup de documents – quasiment en direct pour l’Ukraine. Pourquoi ne faisons-nous pas la même chose ?
Le renseignement que nous produisons ne nous appartient pas. Il appartient au Président de la République, au ministre, au CEMA. Il y a toujours une vision un peu fantasmée du renseignement et de son caractère secret, parfois jugé attentatoire aux libertés publiques. Mais en réalité, il sert l’intérêt collectif des citoyens, et donc l’intérêt général ! Il permet de renforcer les libertés publiques. Et sa production est très contrôlée, par plusieurs autorités indépendantes. Il peut apparaître nécessaire, pour des raisons opérationnelles ou politiques, de déclassifier du renseignement. Ma mission est alors d’expliquer quelles en seraient les conséquences, quels seraient les risques que pourrait générer ce type de décision. Puis de mettre en œuvre, si la décision est prise. Je note cependant que les Américains ont déclassifié à outrance au début de la guerre en Ukraine. Ils l’ont d’abord fait pour tenter d’infléchir la décision de Vladimir Poutine d’envahir ce pays. Force est de constater que ça n’a pas vraiment fonctionné. Plus généralement, la déclassification du renseignement peut engendrer une certaine forme d’addiction, qui peut se retourner contre celui qui déclassifie. Les Américains ont continué à déclassifier après l’invasion en Ukraine. Et quand le gazoduc Nord Stream II a explosé, ils n’ont rien déclassifié. Résultat : des interrogations se sont fait jour. Ce qui peut provoquer l’inverse de l’effet escompté.
Recueilli par Marc Fernandez
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