Vous avez été déployés le 28 février, vous êtes rentrés le 28 juin. Quinze jours plus tard, vous allez défiler pour le 14 Juillet. Que ressentez-vous, quelques heures avant de remonter l’avenue des Champs-Élysées ? 

Les hommes ressentent évidemment de la fierté car c’est toujours un honneur de défiler le 14 Juillet. Mais ils ressentent également de la joie et de l'enthousiasme à l’idée de se retrouver à nouveau tous ensemble, après ce que nous avons vécu en Roumanie. Nous allons retrouver la compagnie belge et la compagnie du 126e régiment d’infanterie qui étaient avec nous. C'est quand même intéressant et enthousiasmant de se retrouver pour un nouveau temps fort, après tout ce que nous avons vécu au cours de ces derniers mois. Donc nous ressentons de la fierté et de l’enthousiasme.

Que pensez-vous de la perception que nous pouvons avoir en France de la situation en Ukraine et plus globalement sur le flanc Est de l’Europe ?  

Depuis mon retour, j’ai évidemment échangé avec beaucoup de Français et quand je dis que la situation peut dégénérer à tout moment, les gens sont quand même assez surpris. Ils s’intéressent et suivent ce qui se passe en Ukraine mais ils sont souvent surpris par la gravité de mes propos. Or le discours que je tiens n’est pas alarmiste. C’est un discours que je tire de ce que j’ai vu là-bas et de mes discussions avec les Roumains, les Polonais, les Moldaves qui ont l’habitude de côtoyer les Ukrainiens et qui ont connu les Russes.

Au regard des événements actuels et de l’appréciation des pays voisins, il faut bien évaluer la gravité de la situation. Nous devons nous préparer à tous les scénarios. La reprise de l’offensive russe vers Odessa, tout le monde en parle. La récupération de toute la frange sud de l’Ukraine et de la mer Noire, tout le monde en parle également. On ne sait jamais dans quelle direction peut partir une guerre. Donc aujourd’hui en Ukraine, on ne sait pas jusqu’où ça peut aller et il faut se préparer à tous les scénarios.

Le choix d’un focus flan-Est, pour le défilé du 14 Juillet, constitue justement une opportunité pour sensibiliser les français sur la gravité de la situation ?

Oui tout à fait. Le 14 Juillet, c'est la fête nationale. Une armée, ça sert à protéger un pays, donc les armées françaises ont pour mission de protéger la France. Aujourd’hui, la protection des Français passe par le renforcement de la sécurité du flanc Est de l’Europe et ce 14 juillet est là pour le rappeler. En déployant le bataillon que j'ai commandé en Europe du Sud-Est, on contribue à la sécurité de la France et à protéger les Français. À mon avis, il est très important d’expliquer ces enjeux aux Français et pour cela, le 14 juillet est un symbole intéressant.

À travers ce focus flanc Est, il y a la volonté de sensibiliser les Français à la gravité de la situation aux frontières orientales du continent. Il y a également la volonté d’afficher la solidarité stratégique entre la France et ses alliés. Mais est-ce qu’il y a également un message vis-à-vis de la Russie ?

Oui, il y a forcément un message vis-à-vis de la Russie. Dans des missions où on renforce une posture dissuasive et défensive, il y a une stratégie déclaratoire. C’est-à-dire qu’on montre ce qu'on sait faire et on affirme ce qu’on est prêt à faire. Déployer en quelques jours un bataillon de 800 personnes capables de se battre avec du matériel lourd c’est impressionnant. Ce n'est d’ailleurs pas tant le déploiement de forces et de puissance qui est impressionnant que d'avoir avoir pu le faire en huit jours. Ce qui prouve quand même que les procédures Otan sont efficaces. Le défilé du 14 Juillet a vocation à véhiculer un message de cohésion et d'unité nationale. Mais c'est aussi une démonstration de force et à ce sujet. Quand on regarde ce qui va être déployé jeudi 14 juillet, c'est impressionnant. C’est un message dans la continuité de ce qu’on a su faire au mois de février dernier.

Justement, au sujet de votre déploiement fin février dernier, quelles sont les grandes images qu'il vous reste de cette époque ?

La première grande image est très simple. Quand l’alerte a été déclenchée, j'évaluais l’état-major tactique de mon bataillon à Sissonne. Ce sont des exercices sur plusieurs jours où très concrètement, vous dormez une ou deux heures par nuit pendant trois ou quatre jours. C’était le dernier jour, donc on commençait à être fatigué. On était en pleine infiltration de nuit quand on a eu le déclenchement de l’alerte à 1 h du matin. On nous a dit, il faut rentrer rapidement sur Annecy. Vous allez être déployés en Roumanie dans les jours qui viennent. On a mis fin à l’exercice et on a commencé à se rassembler rapidement. Les préparatifs pour un départ dans un tel contexte sont des moments très balisés. On se raccroche à des actions concrètes et mécaniques. Combien de véhicules on va rentrer ? Combien de pilotes ? On a besoin combien de temps pour être prêt ? On déroule une mécanique de planification et on n'a pas le temps de voir passer les choses. C'est parti très vite, en cinq jours.

La deuxième image, c’est l’ouverture de la porte de l’avion sur la piste de Constanza. L’ambassadrice Laurence Auer nous a accueilli au pied de la passerelle. Elle était accompagnée par le général Dan qui commande la division multinationale à Bucarest. Il faisait nuit, on prenait des bouffées de neige. C’est une image qui reste gravée dans ma mémoire.