Visite de la maison Athos de Toulon, au plus près des blessés psychiques

Direction : Ministère des Armées / Publié le : 31 janvier 2025

Longtemps méconnue, la blessure psychique est prise en charge depuis plusieurs années par le ministère des Armées. Esprit défense a passé trois jours* à la maison Athos de Toulon, une structure expérimentale qui accompagne des militaires atteints de stress post-traumatique dans leur reconstruction.

Les membres de la maison Athos participent à une journée de voile. © Florian Szyjka / Ministère des Armées

« Qui veut prendre la barre ?

- Moi ! » Kouider qui, quelques minutes plus tôt, sur le quai du port de Toulon, était encore sur la réserve, se lève d’un bond. Lunettes de soleil, maillot des All Blacks sur le dos, cet ancien du 1er régiment de chasseurs parachutistes, 48 ans et plus habitué à crapahuter qu’à naviguer, sort pourtant le bateau de la rade avec une étonnante facilité… Sous l’œil ébahi du skipper, Hervé. « Mais il est exceptionnel ce barreur. Regardez-moi ça, je n’ai plus rien à faire ! On va hisser la voile, maintenant.

- Je vous rends la barre ?

- Oh non, garde-la ! »

Nom du bateau : le Superflux. Vitesse actuelle : quatre nœuds. Maîtres à bord : Hervé et Claude, deux colonels retraités – le premier de la Marine nationale, le second du Service de santé des armées – et membres du club nautique de la marine de Toulon. Avec eux : Kouider, donc, et Youssef, blessés psychiques des armées, qui ont embarqué pour une journée de voile. Leur objectif : profiter de cette sortie en mer et surtout participer à la vie du bateau. Un défi pour ces militaires qui se sont isolés du monde extérieur depuis leur traumatisme. « La démarche, c’est d’aider les autres, lance Hervé sur le ton de l’évidence. Tant qu’ils ont le sourire, pour moi c’est gagné ! » Kouider, plutôt taiseux jusque-là, opine du chef, l’air serein : « On est bien, là. Libres comme l’air… »

« Une dynamique de vie »

Youssef et Kouider sont « membres » de la maison Athos de Toulon. Inauguré en janvier 2021, ce dispositif expérimente une nouvelle approche dans la prise en charge de militaires atteints d’une blessure psychique liée au service : il s’agit d’une structure psychosociale, non médicalisée, destinée à les accompagner dans leur réhabilitation, une fois leur état considéré comme stabilisé par le corps médical. Interarmées et interservices, le projet est piloté par l’armée de Terre et mis en œuvre par l’Institution de gestion sociale des armées (Igesa).

Pour vaincre l’agoraphobie, Youssef, Kouider et Alexandre effectuent leurs courses ensemble. © Florian Szyjka / Ministère des Armées

À ce jour, deux établissements existent, l’un à Cambes, en Gironde, et l’autre ici, à Toulon, dans le Var. La maison fonctionne en cogestion entre la vingtaine de membres qui vient régulièrement et l’équipe encadrante, composée de deux accompagnateurs, dont Damien Founau, ancien moniteur de sport de la Marine nationale, d’Émeline Forestier, coordinatrice et ex-psychologue des armées, et de Luc de Coligny, ancien des troupes de marine. Ce dernier dirige le tout d’une main de fer dans un (épais) gant de velours. « Nous travaillons ici sur une reconstruction de l’humain, relève-t-il. Athos, c’est une dynamique de vie. »

« Tous pour un, un pour tous ! »

Pour ses membres, la maison Athos est un point d’ancrage. Certains s’y sont même amarrés solidement. Ils y viennent librement, à leur rythme, souvent le midi pour partager le repas. « Ils cuisinent ensemble. Souvent, ils vont aussi faire les courses ensemble. C’est rassurant pour eux car beaucoup souffrent d’agoraphobie », confie Damien. Aujourd’hui, c’est l’association Ruches et biodiversité de la Royale qui régale. Son directeur, Jean-Pierre, un ancien chef des cuisines du porte-avions Charles de Gaulle, lance un atelier crêpes « à la bretonne ». Bientôt, la maison s’emplit d’un parfum gourmand… Rockya est la première arrivée. Jean-Pierre et elle se sont croisés en opération. « C’était sur le Charles de Gaulle, ma dernière mission. D’ailleurs, nous avions fait des “ journées crêpes ” à bord, c’était de sacrés moments de cohésion ! N’est-ce pas Rockya ? » se souvient-il.

La cuisine en équipe, sous les yeux de Bernadette, de l’association Ruches et biodiversité. © Florian Szyjka / Ministère des Armées

Blessée en opération, Rockya, 38 ans, est l’un des premiers membres à avoir intégré la maison Athos. « Je voulais rencontrer d’autres marins comme moi, on n’en voit pas beaucoup. » Quand elle est arrivée, tout restait à faire. « C’était le chantier ! Mais c’est bien, la maison s’est construite en même temps que nous et aujourd’hui, on s’y sent plus fort. Comme on dit, l’union fait la force ! » Une expression pleine de justesse pour qui connaît l’origine du nom du dispositif : un hommage à Athos, l’un des trois mousquetaires d’Alexandre Dumas, qui popularisa la devise « Tous pour un, un pour tous ! ».

« Membre » à vie

En fin de matinée, Youssef, 44 ans, débarque avec son petit garçon, 10 ans et presque aussi timide que lui. Il rejoint Rockya derrière les fourneaux. Comme elle, ce fils de harki est l’un des plus anciens de la maison. « Une fois que j’ai mis les pieds dans la Marine nationale, je n’ai plus voulu partir de l’armée. Après, les circonstances ont fait que… » De ces circonstances, on ne sait rien de plus qu’une date, 2014, et un lieu, celui de sa dernière opération extérieure, en Centrafrique, qu’il parvient à lâcher dans un murmure pudique. Un jour, des migraines, la vision floue. « J’ai été envoyé à Sainte-Anne1. J’avais des vaisseaux sanguins qui explosaient dans les yeux en raison du stress. On m’a dirigé vers le service psychiatrie, mais je ne comprenais pas, je voulais qu’on me laisse tranquille », se confie-t-il. Il se renferme, se résout finalement à consulter dans le privé, jusqu’à ce que la maison Athos le contacte « au bon moment… », chuchote-t-il. « Il y a quelque chose qui t’attire ici. Tu es toi-même, tu as l’impression de faire partie d’une équipe. »

Les membres de la maison Athos brandissent fièrement le rond de serviette gravé à leur nom. © Florian Szyjka / Ministère des Armées

« On est membre à vie d’Athos, explique Luc de Coligny, visiblement ému. C’est d’ailleurs un peu l’idée derrière ces ronds de serviette que chaque blessé grave à son nom en devenant membre de la maison. L’expression ” avoir son rond de serviette ”, c’est comme avoir son anneau au port. Mais la raison d’être d’un port, ce n’est pas d’y rester, c’est d’en partir et d’y revenir seulement en cas d’avarie ou, au contraire, quand les casiers sont pleins pour fêter ça. Alors, c’est ce que je leur dis… Votre vie, elle sera au large, mais prenez votre temps ! »

1 Hôpital d’instruction des armées situé à Toulon

Par Camille Brunier

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