Spatial de défense : « L’émergence du New Space apporte un dynamisme inédit »
[Salon du Bourget 2023 : la 3e dimension au cœur des opérations] Crise des lanceurs, New Space, arsenalisation de l’espace… Le domaine spatial connaît de profondes mutations. Comment le ministère des Armées y fait-il face ? Les réponses avec l’ingénieure générale de l’armement Eva Portier, adjointe Espace du délégué général pour l’armement et secrétaire générale du comité spatial de défense.
Quelles ont été les grandes étapes de l’arsenalisation de l’espace ?
Eva Portier : Le point de départ, c’est la Guerre froide. Dès les années 60, le face-à-face Washington-Moscou se durcit jusque dans l’espace avec, déjà, des velléités agressives. Mais, conscients des périls et de leur gravité, les deux blocs glissent vers une forme de statu quo. Le début de la construction de la Station spatiale internationale en 1998 en est l’illustration. Elle s’érige comme un modèle de coopération. Là-haut, quinze pays travaillent ensemble quelle que soit la nature de leurs relations diplomatiques ici-bas. Mais, avec l’émergence de nouveaux acteurs du spatial depuis le début des années 2000, des comportements offensifs se multiplient. J’ai en tête deux marqueurs concrets : la réalisation d’un tir anti-satellite en 2007 par la Chine et la tentative d’espionnage à l’encontre du satellite franco-italien Athena-Fidus par le satellite russe Luch-Olymp en 2018. La mise en place d’une stratégie spatiale de défense française en 2019 est significative de l’évolution des menaces.
Aujourd’hui, l’enjeu pour la France est-il de passer d’une situation où nous faisions la guerre grâce à l’espace à une situation où nous pourrions être en mesure de faire la guerre dans l’espace ?
Le discours d’Emmanuel Macron prononcé le 13 juillet 2018 constitue un élément-clé. Le président de la République l’a affirmé : la France doit être mesure de répondre en cas d’agression ou d’actes inamicaux à son égard dans l’espace. Pas de stratégie offensive mais une défense active ! Néanmoins, notre doctrine en la matière n’est pas encore stabilisée. Nous devons d’abord caractériser les moyens d’action utilisés dans l’espace par nos compétiteurs pour élaborer les réponses adaptées. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les dangers ne sont pas que d’ordre cinétiques. Différents acteurs de la communauté internationale développent des modes d’action concourant à la détérioration des segments spatiaux. L’usage de lasers pour rendre un satellite non fonctionnel plutôt que de le détruire s’inscrit en ce sens. Pour pouvoir bien se défendre, la maîtrise de l’espace est primordiale.
Comment le maîtriser ?
En trois étapes ! La première : caractériser la menace. Qui évolue dans l’espace, dans quels objectifs et comment ? Répondre à ces questions requiert une connaissance très fine de l’environnement spatial. Celle-ci repose sur des moyens de surveillance.
Le deuxième volet : se protéger et manoeuvrer. Il s’agit de développer des moyens de protection intrinsèques à nos capacités d’observation. De fournir, aussi, des « gardes du corps » aux satellites. C’est dans cette optique qu’a été pensé le concept de satellite guetteur Yoda, qui doit être lancé prochainement. Il a été conçu pour observer ce qui se passe in situ et pour se rapprocher au plus près de nos équipements.
Le troisième point : décourager et agir. Il rejoint la question de la doctrine évoquée précédemment ainsi que toutes les problématiques liées à une composante de centres de commandement et de contrôle (C2).
Outre Yoda, quelles capacités développons-nous pour affronter les profondes évolutions de l’environnement spatial ? Quelles sont nos priorités ?
Sur le plan capacitaire, la maîtrise de l’espace s’appuie sur le programme ARES, pour « Action et résilience spatiale ». La Direction générale de l’armement (DGA) en est le maître d’ouvrage. Notre priorité, c’est la caractérisation de l’espace et le développement de moyens de protection. Des travaux s’effectuent autour du successeur du radar GRAVES, maillon central de la surveillance de l’espace ainsi que sur des satellites guetteurs qui pourraient disposer, à terme, de capacités d’action. Dans le domaine de la maîtrise de l’espace, de nombreux services sont aujourd’hui portés par des acteurs du New Space. Au sein de la DGA, nous accompagnons leur développement.
L’émergence du New Space et de nouveaux acteurs du spatial rebat les cartes. Quelles conséquences pour la France selon vous : une opportunité pour notre base industrielle et technique de défense ou, au contraire, une menace qui vient complexifier la situation dans l’espace ?
C’est une vraie opportunité. Selon moi, l’enjeu n’est pas de faire de l’espace une sorte de jardin à la française simple à manoeuvrer, à manager. L’émergence de nouveaux arrivants dans la communauté du spatial apporte un dynamisme inédit. Ce phénomène invite aussi les acteurs traditionnels à se repositionner, à repenser leur approche. C’est essentiel pour la pérennité du secteur.
En mars dernier, l’Union européenne s’est dotée d’une stratégie spatiale pour la défense. Est-ce une manière de relancer la coopération internationale ?
Elle dénote une réelle prise de conscience. Le spatial, ses infrastructures et ses technologies ne soulèvent plus uniquement un enjeu économique mais bien de souveraineté. L’annonce de cette stratégie souligne l’absolue nécessité de disposer d’une autonomie stratégique en matière d’appréciation de situation et de décision. Et donc, de travailler main dans la main. C’est un signal très positif envoyé par les instances européennes.
… et un moyen de sortir de la crise des lanceurs ?
L’Europe a joué de malchance dans le domaine des lanceurs. Le conflit russo-ukrainien a stoppé net l’utilisation des Soyouz à Kourou et a entraîné des problématiques d’approvisionnement pour la fusée Vega. D’autre part, des difficultés techniques ont été rencontrées sur Ariane 6. Son premier vol devrait avoir lieu à la fin de l’année 2023. Toutes les équipes sont mobilisées pour ! Le secteur des lanceurs européens sortira de la mauvaise passe qu’il traverse actuellement, je n’ai aucun doute là-dessus. Par ailleurs, cette situation exceptionnelle nous invite aussi à ne pas considérer l’accès à l’espace comme acquis. Continuer à investir dans ce domaine et à évoluer est plus que jamais nécessaire.
Salon du Bourget 2023 : le dossier
Le Salon international de l’aéronautique et de l’espace 2023 se tient au parc des expositions de Paris - Le Bourget du 19 au 25 juin. Retrouvez ici tous nos décryptages pour mieux comprendre les enjeux de la lutte pour la maîtrise des espaces aérien et spatial.
Voir le dossierContenus associés
La très haute altitude : un nouvel espace de conflictualité ?
[Salon du Bourget 2023 : la 3e dimension au cœur des opérations] Jusqu’à présent, la très haute altitude n’était pas exploitée. Mais l’apparition de ballons atmosphériques, de drones capables d’y voler, de planeurs hypersoniques ou de satellites en orbite basse change la donne. Explications avec le colonel Guillaume Bourdeloux, du Commandement de l’espace.
16 juin 2023

Maîtriser ce qui se passe là-haut pour préserver notre capacité d’action ici-bas
[Salon du Bourget 2023 : la 3e dimension au cœur des opérations] L’espace intervient en appui de toutes les opérations militaires. Milieu essentiel pour les armées, il est aujourd’hui le théâtre d’un déploiement d’armes offensives et défensives. Pour faire face à ce phénomène d’arsenalisation, la France muscle sa défense.
16 juin 2023

Salon du Bourget 2023 : rendez-vous sur le stand du ministère des Armées
Du lundi 19 au dimanche 25 juin, le ministère des Armées sera présent au Salon international de l’aéronautique et de l’espace, au parc des expositions de Paris-Le Bourget. La thématique de son stand : la troisième dimension au cœur des opérations.
16 juin 2023
