Christine Dugoin-Clément : l’IA, un enjeu stratégique pour les armées

Direction : Ministère des Armées / Publié le : 19 novembre 2024

« L’intelligence artificielle est déjà un acteur incontournable du champ de bataille », pour Christine Dugoin-Clément, chercheuse à l’Observatoire de l’intelligence artificielle de Paris 1 et associée au Centre de recherche de l’école des officiers de la Gendarmerie nationale. Tribune.

Christine Dugoin-Clément, chercheuse à l’Observatoire de l’intelligence artificielle de Paris 1. © Rouge Vif

L’année 2022 a été un tournant : le retour de la guerre de haute intensité et de l’usage de drones sur le terrain s’est doublé d’une guerre informationnelle massive, l’ensemble s’accompagnant de cyberattaques. En outre, la numérisation de la société et des armées a permis l’émergence d’une transparence tactique grâce à plusieurs facteurs, comme la digitalisation des populations, le détournement d’applications civiles à des fins opérationnelles, le développement des IA et l’augmentation des données satellitaires qui permettent de suivre mouvements de troupes et emplacement de cibles stratégiques. Enfin, l’approche multidomaine-multichamp induit par nature une complexité accrue. Ainsi, la production de données issues de la démultiplication des capteurs civils et militaires pose un problème : l’ampleur du traitement des données et de gestion des connaissances dépasse la capacité cognitive humaine.

Face à ce constat, on assiste au développement d’IA et d’apprentissage automatique (ML, pour machine learning). Ce développement s’observe notamment dans les constellations satellitaires : nécessaires en matière de renseignement, elles produisent un flot massif de renseignements provenant de l’espace qu’il faut traiter, idéalement en temps quasi réel. Les capacités des IA en matière d’exploitation immédiate, d’analyses prédictives et d’automatisation de la prise de décision seront alors précieuses pour la planification et la gestion de la collecte de données.

Ainsi, concernant cette dernière, la réorientation d’un ou de plusieurs satellites au sein d’une constellation permet de répondre à un besoin opérationnel, mais cela implique de prendre en compte de nombreuses variables techniques (règles de priorité, exigences de latence, facteurs environnementaux, disponibilité des stations au sol) auxquelles s’ajoute le dynamisme induit par des contextes de plus en plus volatils, incertains, complexes et ambigus.

Les IA sont aussi nécessaires pour la gestion de systèmes d’armes de plus en plus complexes. À titre indicatif, un avion de combat centralise des données massives1. L’IA aide à les traiter pour les rendre disponibles et intelligibles, afin que pilotes et opérateurs humains en tirent le meilleur parti. Cette utilité ne fera que croître, que l’on pense à la gestion des drones en essaim ou des ailiers loyaux (drones de combat lourd interagissant avec les pilotes en temps réel).

L’IA est déjà un acteur incontournable du champ de bataille et des confrontations précédant le déclenchement de l’action cinétique2. Aussi, développer et maintenir une capacité de développement et d’innovation en la matière devient un enjeu stratégique, où les armées pourraient bien être en concurrence avec le secteur privé.

1 Aussi appelées mégadonnées.

2 Action militaire impliquant une guerre active, y compris la force létale.

Dossier : comment l’IA transforme le champ de bataille

Révolutionnaire au même titre que l’atome en son temps, l’intelligence artificielle se fait une place grandissante sur le champ de bataille. Elle remodèle l’art de la guerre et devrait s’imposer comme l’alliée indispensable face au déluge de données qui caractérise notre époque.

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