Contre-amiral Jacques Mallard : « Le GAN apporte une appréciation autonome de situation très utile à la France »
Le groupe aéronaval (GAN) est un avantage opérationnel et diplomatique majeur pour la France. Le contre-amiral Jacques Mallard, commandant la force aéromaritime de réaction rapide et le GAN, nous en dresse un tableau approfondi. Entretien.
Quel est le rôle du groupe aéronaval ?
Dans un contexte politico-sécuritaire international en constante dégradation, le groupe aéronaval (GAN), capacité militaire unique dans l’Union européenne, permet à la France de préserver son territoire, ses ressortissants et ses intérêts stratégiques, mais aussi d’agir en soutien de ses partenaires et alliés. Le GAN est au cœur de « la liaison des armes en mer », terminologie portée et diffusée par l’amiral Castex1, et permet grâce à cet ensemble, de produire des effets dans tous les champs et milieux de la conflictualité moderne.
Les composantes du groupe aéronaval peuvent ainsi agir sous la surface de la mer et au-dessus, dans le cyberespace ou dans le champ informationnel de manière synchronisée. En ce sens, le groupe aéronaval s’intègre au concept de « Multi Domain Operation ». De ces deux premières caractéristiques en découle une troisième : la flexibilité du GAN. Tout d’abord en terme d’emploi tactique, qui se transcrit dans la mobilité du groupe. Cela lui permet une bascule d’efforts entre théâtres sous faible préavis, y compris dans des zones dont le contrôle nous est contesté. Cette souplesse s’appuie sur la liberté des mers et l’autonomie logistique grâce à laquelle il peut durer à la mer.
Qu’est-ce qui fait sa force ?
C’est sa capacité à voir et à savoir ce qu’il se passe dans les trois dimensions et dans les différents champs : champ des perceptions, de l’espace cybernétique et bien évidemment effets dans le champ physique, par sa capacité à projeter de la puissance et de la force avec l’ensemble de ses moyens disponibles. Le GAN permet d’apporter un éclairage, de traduire une intention mais surtout de produire des effets selon la granularité voulue par le niveau stratégique. Il utilise la liberté des mers pour se positionner et envoyer ses chasseurs et ses avions de guet aérien à plusieurs centaines de kilomètres, pour les récupérer quelques heures après en parfaite autonomie.
Au-delà de sa fonction militaire, quelle est son utilité diplomatique ?
Il détient une capacité d’entrer en premier sur un théâtre, y compris en environnement potentiellement non permissif, en s’affranchissant des contraintes diplomatiques occasionnées par l’existence des frontières, notamment pour le survol de territoires. Le GAN dispose ainsi d’une remarquable capacité à durer sur un théâtre d’opérations. Cela lui permet de maintenir une pression militaire forte pendant de longues périodes et donc d’appuyer une manœuvre diplomatique.
Cette flexibilité s’exprime également en terme d’emploi : pour l’échelon politique et stratégique, le GAN constitue un outil employable dans une multitude de contextes et à des fins variées, avec une résonnance immédiatement palpable. De la gestion de crise à la guerre de haute intensité, du signalement stratégique à la mise en œuvre de la dissuasion nucléaire.
Le GAN peut-il également opérer dans un cadre interallié ?
C’est effectivement un véritable fédérateur et agrégateur de forces navales auprès de nos partenaires et alliés. Ainsi, l’escorte du GAN est régulièrement renforcée par des bâtiments anglais, allemand, italien, espagnol, portugais, grec et américain. Pour le prochain déploiement du GAN, ce ne sont pas moins de cinq frégates étrangères qui constitueront l’escorte. C’est donc un véritable outil d’intégration et d’interopérabilité à l’échelle de l’Otan et de l’Europe. Le GAN est un ensemble cohérent de niveau tactique à même de se « brancher » sur n’importe quelle structure de commandement française ou de l’OTAN. Cette logique est poussée jusqu’au bout dans le groupe aéronaval français. Ainsi, par opposition aux groupes américains par exemple, la Marine nationale intègre sous les ordres d’un même commandant tactique tous les effecteurs qui agissent sur le théâtre, en particulier un sous-marin nucléaire d’attaque et un avion de patrouille maritime. Son état-major dispose ainsi de ressources suffisantes pour diriger sur un théâtre les opérations militaires et produire les effets demandés par le niveau opératif. Cet état-major pluridisciplinaire est en mesure de coordonner les actions des moyens très divers du GAN.
Que pouvez-vous dire de ses capacités opérationnelles et de ses systèmes d’armement ?
D’un point de vue défensif, le GAN est une force efficacement protégée par un dispositif qui lui permet d’identifier et de neutraliser tout type de menace aérienne, aéronef ou missile, à très longue comme à plus courte portée. Cette défense est renforcée par la mobilité et la forte manœuvrabilité du GAN (ce dernier peut se déplacer jusqu’à 1000 km par jour), lui permettant de se reconfigurer et de modifier sa trajectoire rapidement. Concernant le secteur offensif, le groupe aéronaval détient une puissance de frappe dans la profondeur grâce aux missiles de croisière navales (MdCN), au système de croisière conventionnel autonome à longue portée (SCALP) et au missile de supériorité aérienne à très longue portée (Meteor). Le GAN apporte une appréciation autonome de situation très utile à la France grâce à une capacité de veille et de surveillance unique au sein des armées françaises. Le centre de renseignement de la force navale (CRFN), embarqué sur le porte-avions, concentre les informations issues des capteurs navals et aériens ainsi que des analystes.
Sur le plan de la dissuasion nucléaire, le groupe aéronaval est un véritable atout car il contribue directement à la Force aéronavale nucléaire (FANu). Cette dernière est une capacité rare. D’ailleurs aujourd’hui, seule la France en dispose. Les Américains ont été les premiers à la posséder mais l’ont abandonnée au début des années 1990. Cette capacité est construite autour du porte-avions, d’un chasseur bombardier léger et historiquement d’armes nucléaires tactiques.
À quels défis tactiques le GAN s’est-il déjà confronté et auxquels devra-t-il faire face à l’avenir ?
Le GAN s’est toujours adapté aux nouvelles formes de conflits. La Marine nationale a accumulé une multitude de savoir-faire et d’expérience dans le domaine des opérations aéronavales. Les méthodes de travail et les processus de commandement hérités des six décennies d’opérations aéronavales conduites par nos ainés constituent un héritage qui nous permet de rester agiles et flexibles afin de conserver notre supériorité tactique. Le début du XXIe siècle a vu le crépuscule de la suprématie incontestée des moyens techniques de l’Occident remise en question par nos compétiteurs, grâce à des moyens bon marché mais efficaces car innovants. Il convient néanmoins de ne pas abandonner le développement de systèmes de pointe afin de ne pas se retrouver surclassés.
Quelle place l’IA et l’utilisation des données vont-elles prendre dans le GAN du futur ?
Le groupe aéronaval est un véritable laboratoire, capable d’intégrer les nouvelles technologies pour envisager le futur du combat naval. À l’occasion de son prochain déploiement, trois centres de données, ou « datacenter », seront embarqués sur trois unités de la force. Ils permettront de disposer d’une capacité à collecter, à exploiter et à partager la donnée, mais aussi à augmenter notre capacité d'analyse au sein de la force et avec nos alliés. Le GAN est également une formidable opportunité pour tester les évolutions réalisées dans le domaine des armes létales : brouillage, capacité d'interception, capacité à travailler avec de nombreux effecteurs, etc.
Ces innovations sans la pensée tactique qui l’accompagne est une impasse technologique. Mais il faut également adapter nos tactiques et nos procédures pour intégrer toutes les opportunités offertes par les progrès technologiques. C’est l’une des missions du centre de combat naval (C2N) : faire évoluer nos concepts en les adaptant aux changements de la conflictualité qui se répandent dans de nouveaux champs et dans de nouveaux domaines. Créé à l’été 2023, le C2N est placé sous l’autorité de l’amiral en charge des opérations aéronavales (ALOPS) et intégré à la force aéromaritime de réaction rapide (FRSTRIKEFOR pour « French Strike Force »). Il rassemble notamment des représentants des quatre forces maritimes et a aussi pour mission de faciliter la conduite d’expérimentations tactiques.
1 Raoul Castex est un amiral français et théoricien militaire, à l'origine de nouvelles théories géopolitiques pour la France.
Construire la Marine de demain
À l’occasion du salon Euronaval, le ministère des Armées et des Anciens combattants vous propose une série d’articles pour découvrir le renouvellement des matériels de la Marine nationale pour qu’elle puisse faire face à la dégradation du contexte stratégique et au retour du combat en mer.
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