Koufra, Paris, Strasbourg... : Leclerc, un grand communicant
Entamée en 1941 avec la prise de Koufra, en Libye, l’épopée du général Leclerc pendant la Seconde Guerre mondiale s’est terminée en Allemagne, en passant notamment par Paris et par Strasbourg. A l’occasion du 79e anniversaire de la libération de la capitale, Esprit défense se penche sur un aspect moins connu du commandant de la 2e division blindée : son talent inné pour la communication.
Serment de Koufra, libération de Paris et de Strasbourg, prise du nid d’aigle de Hitler… : l’épopée du général Leclerc et de ses troupes pendant la Seconde Guerre mondiale fait partie intégrante de notre mémoire collective. Capitaine au début du conflit, rallié à de Gaulle dès l’été 1940, Philippe Leclerc de Hauteclocque deviendra l’un des héros de la France libre grâce à ses qualités de chef charismatique et de tacticien hors pair.
Cette popularité tient aussi à la capacité de Leclerc à valoriser ses succès auprès de ses hommes comme de l’opinion publique. « Il ne possédait pas de prédisposition particulière à la communication, pas plus que les autres officiers de sa génération en tout cas. Mais il a vite compris que le contexte singulier dans lequel il commandait nécessitait d’utiliser également les techniques de faire savoir », explique Géraud Létang, chercheur au Service historique de la défense (SHD), qui prépare une biographie de Leclerc.
« La division Leclerc » plus forte que la 2e DB
En 1944, trois enjeux coexistent. « Tout d’abord, les généraux de l’armée française de la Libération doivent faire oublier ceux du désastre de 1940 », souligne Géraud Létang - d’où l’abandon du képi à la feuille de chêne et la mise en valeur de la proximité avec les soldats. « Ensuite, l’ascension météorique de Leclerc, commune à de nombreux officiers de la France libre, lui impose de “s’inventer général”. Enfin, éloigné de fait de la métropole, ayant livré bataille au Tchad avec peu d’hommes, il réfléchit à la manière d’expliquer aux Français ce que lui et les Français libres d’Afrique ont réalisé. Son but : incarner, avec ses troupes, le refus de la défaite et la certitude de la victoire. »
Afin de valoriser ses actions, Leclerc organisera ainsi, dès la formation de la 2e division blindée à l’été 1943, une certaine médiatisation de son unité. Il utilisera par exemple les imprimeries d’Alger pour éditer des publications sur ses combats au Tchad et en Tunisie. Pendant l’été 1944, il s’investira pleinement dans cette médiatisation, au point que des appellations comme « division Leclerc », voire « armée Leclerc », l’emporteront sur le nom de 2e DB dans les récits et les discours. Mieux encore : « Fin 1944, il comprend avant tout le monde que le retour en France des soldats de la 2e DB, qui n’ont parfois pas connu l’Occupation et ses souffrances, pourrait créer une cassure avec la population », relève Géraud Létang. Pour les accompagner et faciliter leur réinsertion dans la France libérée, il lance Caravane, la revue de la 2e DB. Soixante-dix-huit ans plus tard, Caravane existe toujours !
Image chevaleresque
Le meilleur exemple de ce storytelling avant l’heure ? Le récit autour du serment de Koufra. « Sur le plan stratégique, la victoire face aux Italiens en mars 1941 est un fait d’armes relativement mineur. Malgré une annonce à la BBC, elle passera d’ailleurs plutôt inaperçue dans la France occupée », estime Géraud Létang. Ce n’est que trois ans et demi plus tard, lors de la libération de Strasbourg, que Leclerc réactualise le discours prononcé à l’adresse de ses officiers dans l’oasis de Libye – discours dont aucune trace écrite n’existe sur le moment, d’où les nombreuses versions qui circulent encore aujourd’hui. Il décide alors d’en donner une image chevaleresque et le transforme en serment : celui de ne déposer les armes que lorsque le drapeau français flotterait sur la cathédrale de Strasbourg.
« Le serment de Koufra est tenu », clame-t-il à ses troupes dans l’Ordre du jour n° 73 du 24 novembre 1944, au lendemain de la prise de la capitale alsacienne. « C’est un coup double pour Leclerc. D’une part, les anciens soldats de l’armée d’Afrique restés fidèles à Vichy jusqu’en novembre 1942 acceptent les faits d’armes de Français libres, tandis que ceux qui n’ont rejoint son unité qu’en 1943 ou 1944[1] comprennent que ce qui a été réalisé avant leur appartient aussi. D’autre part, c’est Strasbourg qui fait vraiment connaître Koufra aux Français puisque le serment lie les deux événements. » Ce récit survit même à la mort de son créateur : en 1948, le timbre Leclerc met ainsi en exergue la palmeraie de Koufra et la cathédrale de Strasbourg. « Et plus de 80 ans plus tard, ce que l’on retient de Koufra, ce n’est pas vraiment le fait d’armes, mais bien le serment inclus dans une dramaturgie voulue par Leclerc », conclut Géraud Létang.
Par Fabrice Aubert
[1] En avril 1944, la 2e DB, mise sur pied en août 1943, compte dans ses rangs 14 500 hommes, dont environ 20 % de Français libres, présents essentiellement dans le tout nouveau régiment de marche du Tchad.
« Ce que la mémoire collective retient de Koufra, c’est plus le serment que le fait d’armes. »
- Chercheur au Service historique de la défense.
Ordre du jour numéro 73.
Officiers, sous-officiers et soldats de la deuxième division blindée.
En 5 jours vous avez traversé les Vosges malgré les défenses ennemies et libéré Strasbourg.
Le serment de Koufra est tenu !
Vous avez infligé à l'ennemi des pertes très sévères, fait plus de 9000 prisonniers, détruit un matériel innombrable et désorganisé le dispositif allemand.
Enfin et surtout, vous avez chassé l'envahisseur de la Capitale de notre Alsace, rendant ainsi à la France et à son armée son prestige d'hier.
Au nom du Général de Gaulle et de la France, je vous en remercie.
Nos camarades tombés sont morts en héros.
Honorons leur mémoire !
Strasbourg, 24 novembre 1944.
Le Général Leclerc, commandant la deuxième Division Blindée.
Pour lire l’intégralité des numéros d’Esprit défense.
DécouvrirLe saviez-vous ?
Vous souhaitez réaliser le parcours de Leclerc à l’été 1944 ? Créée par la Fondation Maréchal Leclerc de Hauteclocque, la « Voie de la 2e DB » suit le chemin effectué à l’époque. Une borne baptisée « Le serment de Koufra » matérialise ce trajet dans plus de 100 communes avec, en prime, des informations historiques fournies dans un QR code. « Ce tourisme mémoriel permet de poursuivre la mission voulue par Leclerc : développer le patriotisme dans toute la France, les municipalités remplaçant les amicales d’alors », souligne le général (2S) Jean-Paul Michel, président de la Fondation.
Le site de la Fondation Leclerc : www.2edb-leclerc.fr
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