Libération de la Corse : une insurrection menée par les Corses et pour les Corses (1/3)
Il y a 80 ans, le 9 septembre 1943, l’île de beauté se soulevait contre les forces d’occupation. La libération du premier territoire français a nécessité une préparation minutieuse. Sylvain Gregori, conservateur du musée de Bastia, retrace les mois qui ont précédé cette insurrection, une insurrection menée par les Corses et pour les Corses.
Quelle est la situation en Corse après la défaite de juin 1940 ?
L'opinion publique corse est dominée par la peur obsessionnelle d’un débarquement italien. Les habitants sont persuadés que, profitant de son statut de vainqueur, Rome va négocier auprès des autorités françaises un rattachement de l’île au royaume d’Italie, voire tenter un coup de force. Quand les Alliés débarquent en Afrique du Nord, le 8 novembre 1942, cette menace italienne s’éloigne. Un certain soulagement traverse alors la Corse. Si bien que lorsqu’une flotte apparaît au large du port de Bastia, trois jours plus tard, tout le monde s’attend à voir arriver les troupes anglo-américaines. Mais ce sont bien les Italiens. La population est stupéfaite et vit très mal cette occupation militaire, considérée comme une annexion de fait. Conséquence : la Résistance connaît une phase de développement inconnue jusqu’alors.
Justement, comment cette Résistance s’organise-t-elle ?
Le parti communiste y joue un rôle prépondérant. En mai 1941, il avait lancé le Front national dans toute la France. Ce mouvement a également pris racine en Corse. Petit à petit, ses membres vont canaliser le mécontentement de la population, d’abord contre Vichy puis ensuite contre les Italiens. Leur message se fonde en effet sur un discours complètement autonome par rapport au reste de la France. Il met l’accent sur l’identité corse, menacée par la présence des soldats transalpins. L’hégémonie du Front national sur les autres mouvements de résistance corse a aussi été facilitée par la répression italienne. Les Italiens arrivent à éradiquer le réseau gaulliste de Fred Scamaroni, dont l’objectif était d'unifier les diverses composantes de la résistance insulaire. La mort de son chef, en mars 1943, laisse la voie libre aux communistes.
En avril, quand le commandant Paulin Colonna d'Istria débarque clandestinement sur l’île, à la demande du général Giraud1, il s'appuie sur le Front national pour rassembler les mouvements de résistance, alors très divisés. Le groupe communiste arrive ainsi à s’approprier une grande partie du matériel et des financements envoyés par Alger2. La chute de Mussolini, en juillet, constitue un tournant. Dès cet instant, les recrutements vont grimper en flèche, au point que le Front national réussira à établir un groupe de résistance dans quasiment chaque commune de l'île.
L’aide apportée par le sous-marin Casabianca3 a été décisive. A quel point ?
Il effectue six missions clandestines en Corse de décembre 1942 à août 1943. A chaque fois, le Casabianca transporte deux ou trois agents du renseignement accompagnés de postes radio, afin d’établir un lien entre la Résistance et Alger. En dehors de ces opérations secrètes, le sous-marin amène l’armement tant attendu par le Front national. Cette aide matérielle le renforce et engendre sa stratégie de lutte à plus long terme : l’insurrection. Alger y est pourtant opposé. Le général Giraud arme en effet la résistance corse dans l’optique de créer une force d’appui à un débarquement libérateur décidé par lui. Mais la rupture est consommée au cours de l’été 1943. Les nombreux messages envoyés par Giraud, au cours du mois d’août, pour dissuader tout soulèvement n’y feront rien. Le Front national se sent suffisamment fort et compte bien déclencher une insurrection, dès l'annonce d'un armistice italien qui semble pour tout le monde inéluctable et très proche.
Quel est le rôle du général de Gaulle dans ces préparatifs et dans cette libération de la Corse ?
De Gaulle n’y joue quasiment aucun rôle. L’échec du réseau Scamaroni démontre l’implication trop tardive de l’homme du 18 Juin dans la structuration de la Résistance insulaire. L’envoi de Fred Scamaroni, sur la propre insistance du général de Gaulle, se déroule à un moment où le Front national et les communistes sont trop forts pour se soumettre à un mouvement d’unification, ou plutôt de soumission, autour du chef de la France libre. Celui-ci n’y gagnera sa place que tardivement et laborieusement, au cours de l’été 1943, pour envisager une libération de l’île sur laquelle l’état-major du général Giraud travaille depuis la fin de l’année 1942. En revanche, dès l’été 1940, parce qu’il se bat avec les Anglais contre les Italiens, de Gaulle jouit en Corse d’une grande et précoce popularité.
- Giraud assume alors le Commandement en chef français civil et militaire.
- Où se trouve le Commandement en chef français civil et militaire, l’organe gouvernemental dirigé en Algérie française par le général Giraud.
- Le sous-marin français s’est échappé de Toulon lors du sabordage de la flotte, le 27 novembre 1942. Il rejoint Alger et se place aux ordres de Giraud.
80 ans de la libération de la Corse : un récit en trois actes
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