Débarquement de Provence : « Cet épisode passe un peu à la trappe »
Le 15 août 1944, en débarquant en Provence, les Alliés ouvrent le second front tant attendu en Europe de l’Ouest. Nom de l’opération : « Anvil-Dragoon ». Les forces françaises sont largement à l’origine de son succès, un succès quelque peu éclipsé dans notre récit national depuis 1945. Explications avec le lieutenant-colonel Ivan Cadeau, officier-historien au Service historique de la Défense (SHD).
Quelle place la France a-t-elle prise dans la préparation et la réalisation du débarquement de Provence ?
Contrairement au débarquement en Normandie, nous y jouons un rôle prépondérant. Le général de Lattre de Tassigny commande les forces françaises de l'armée B – la future 1re armée française. Il se voit confier comme objectifs prioritaires les prises de Toulon et de Marseille, deux villes lourdement défendues par les Allemands. Leur conquête est essentielle pour les Alliés. Avec ces ports en eau profonde, ils pourront ainsi acheminer la logistique nécessaire à la poursuite des opérations de libération du territoire national. L’opération « Anvil-Dragoon », nom donné au débarquement de Provence, exige une planification maritime poussée. Certains bateaux appareilleront d’Afrique du Nord mais d’autres prendront la mer depuis l’Italie ou encore la Corse.
La France a quand même dû batailler pour se faire une place dans le dispositif. Les Alliés souhaitaient initialement nous cantonner à un rôle subalterne. Et les Britanniques ont tenté jusqu’au bout d’annuler cette opération amphibie au profit du front italien. De Lattre, mais surtout de Gaulle, ont pesé afin qu’un maximum de troupes françaises puissent participer à la libération de la Patrie. But recherché : imposer la légitimité politique du chef de la France libre dans le pays libéré.
Une fois débarqués, à quelle résistance nos soldats ont-ils dû faire face ?
J’aimerais d’abord souligner le caractère hétéroclite de l’armée B. Elle est constituée, dans sa majeure partie, d’éléments issus de ce qu'on appelait alors l’« Armée d'Afrique », c’est-à-dire des troupes métropolitaines, comme les chasseurs d’Afrique ou les zouaves, accompagnées de nombreux soldats issus des colonies : spahis, tirailleurs, goumiers… sans oublier la présence de Français libres.
En face d’eux se trouve la 19e armée allemande. Cette dernière est affaiblie numériquement car la Wehrmacht se bat déjà en Normandie, en Italie et sur le front de l’Est. D’importantes ponctions de troupes l’ont ainsi diminuée. Il faut ensuite ajouter les fortifications du front méditerranéen, sans commune mesure avec celles de Normandie. Elles sont en réalité bien incapables d’empêcher le débarquement. Quant à la Luftwaffe, réduite à l’état de squelette, sa présence se limite à de rares apparitions. Dès le 19 août 1944, les unités allemandes reçoivent l’ordre d'évacuer le Midi de la France, à l’exception de Marseille et Toulon qu’elles doivent défendre jusqu’au bout. La libération de la Provence coûte la vie à près de 1 000 soldats engagés sous le drapeau tricolore.
Malgré son large succès, le débarquement de Provence reste assez méconnu. Comment l’expliquer ?
C’est vrai. Il a pourtant surpassé les attentes. Après de rudes combats, les deux villes françaises sont prises avec un mois d’avance sur le calendrier des opérations. Les troupes alliées peuvent donc remonter la vallée du Rhône plus vite que prévu. Cet épisode, à l’image de l’insurrection de Marseille, passe un peu à la trappe. Plusieurs raisons l’expliquent. Tout d’abord, le soulèvement de la cité phocéenne est éclipsé par celui de Paris, qui a lieu à peu près au même moment. Libérer la capitale, c’est libérer la France. Dans l’écriture du récit national qui se dessine, la 2e division blindée du général Leclerc attire tous les regards et la libération de Paris devient un symbole fort. Le débarquement de Provence, il ne faut pas l’oublier, est secondaire par rapport à celui de Normandie.
L’autre explication tient au général de Gaulle lui-même. Il se souvient de l’Armée d’Afrique dans les premières années du conflit. Jusqu’en 1943, ses cadres étaient majoritairement restés fidèles au maréchal Pétain. Même après-guerre, le chef de la France libre n’a donc pas vraiment envie de mettre l’accent sur l’armée B, qui deviendra la 1re armée française en septembre 1944. Il est désormais temps de lui rendre l’hommage qu’elle mérite.
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